Blogue de conservation

Hymne au printemps

8 May 2012


Dans son hymne au printemps, Félix Leclerc chante la saison où les fleurs recommencent, où les nouveau-nés crient dans l’étable, où les crapauds chantent la liberté et où les bourgeons sortent de la mort.

Chaque année nous sommes tous charmés par l’éveil de la nature, par les odeurs et par le verdissement de notre environnement. Comme la nature, nous renaissons un peu chaque fois. Les visiteurs du parc national des Monts-Valin ont l’impression de vivre deux printemps! Un premier dans le secteur du piedmont et un deuxième sur les sommets quelques jours plus tard. Alors que les feuilles des arbres sont déjà bien présentes dans les basses terres, il en est tout autrement sur les sommets du parc. Sur la montagne, les bourgeons de certaines espèces ne commencent qu’à s’ouvrir alors que d’autres espèces sont déjà en fleur.

Un site de recherche privilégié

Le climat montagneux du mont Valin est un facteur important agissant sur les phénomènes biologiques. Il influence la photosynthèse, la croissance, la respiration des végétaux et conditionne la répartition des espèces et des communautés tant animales que végétales. C’est justement pour profiter de ce climat de montagne que la professeure-chercheure de l’Université du Québec à Chicoutimi, Annie Deslauriers, a choisi le parc comme secteur d’étude pour l’un de ses projets de recherche. L’objectif de ses travaux est de comprendre le fonctionnement de la croissance en milieu boréal au niveau des bourgeons, de la formation du cerne de croissance annuelle et de l’utilisation des glucides (sucres) afin de les lier aux variations du climat.

Tous les êtres vivants sont directement influencés par les fluctuations de l’environnement dans lequel ils se trouvent. Le domaine qui étudie les relations des facteurs environnementaux et des évènements biologiques périodiques (floraison, migration, reproduction, etc.) est la phénologie. Afin de bien synchroniser leurs cycles de vie avec l’environnement, les organismes disposent d’une « horloge biologique » interne laquelle contrôle le synchronisme des principaux évènements périodiques. Sous nos latitudes, les principaux facteurs climatiques influençant le développement des plantes, et par le fait même la phénologie, sont la photopériode et la température. La photopériode (durée quotidienne du jour) est un indicateur fiable du moment de l’année. Par contre, la réponse à la photopériode est souvent modulée par la température permettant ainsi une synchronisation optimale de la phénologie avec les conditions environnementales.

Depuis 2010, des suivis de croissance ont donc été établis en exploitant le gradient de végétation de près de mille mètres. La végétation est très différente tout au long de ce gradient puisque les forêts se situant le long du Saguenay sont de type mixte alors que celle se trouvant sur les sommets se retrouve presque à la limite des arbres. Il devient donc possible de quantifier les changements dans la phénologie de la croissance des bourgeons et de faire le suivi du début et de la fin de la croissance des arbres échantillonnés.

Des équipements de mesure au travail des gardes-parc

Deux stations météorologiques ont été installées au parc à la fin de l’été 2010. Une première à environ 230 mètres et une autre à presque 900 mètres d’altitude. Elles récoltent automatiquement des données climatiques comme la température de l’air, celle du sol, la vitesse et la direction du vent. Elles mesurent aussi la quantité de précipitations sous forme de pluie et même la neige au sol. D’autres informations un peu moins communes celles-là, sont aussi enregistrées comme la quantité de radiation solaire et le contenu en eau du sol. En plus de ces données météorologiques, il est aussi nécessaire de réaliser des mesures. C’est la partie du projet qui relève de l’équipe des gardes-parc. Chaque semaine pour une période s’étendant du début de mai jusqu’à la fin d’août, les gardes-parc réalisent des observations, prennent des mesures et prélèvent des échantillons sur les arbres sélectionnés.

Construction d'une station météorologique

Aux fins de l’étude, deux espèces d’arbres ont été retenues soit le sapin baumier et l’épinette noire. Trois arbres de chaque espèce ont été sélectionnés dans chacun des sites d’étude et pour tous les individus étudiés, quatre branches sont suivies. Deux d’entre elles sont exposées au nord, les deux autres étant exposées au sud. Dès la première visite sur le terrain et à chaque visite par la suite, des microéchantillons ou microcarottes sont prélevés sur les arbres pour le suivi de la croissance radiale. En fait, il s’agit de prélever un minuscule cylindre d’aubier, la partie ligneuse tendre et blanchâtre de l’arbre située sous l’écorce. L’analyse en laboratoire de ces microéchantillons permet de déterminer le moment du début de la formation des nouvelles cellules dont l’accumulation forme le cerne de croissance annuelle des arbres.

Pour les premières semaines, le travail des gardes-parc se limite à observer la croissance de l’ouverture des bourgeons. Il faut prendre le temps de s’attarder à ce phénomène pour en mesurer la complexité, la rapidité, mais aussi toute la beauté! En quelques jours, lorsque les conditions optimales de température et de photopériode sont atteintes, les bourgeons se gonflent puis explosent en révélant les premières ébauches de feuilles. En l’espace d’une semaine un bourgeon peut passer du stade 0 (dormance, les bourgeons sont fermés) au stade 10 (l’extrémité des feuilles dépasse de plus de 10 mm les écailles du bourgeon). Il faudra par la suite environ une semaine de plus pour que la feuille atteigne sa longueur maximale. Lorsque les feuilles commencent à sortir du bourgeon, une mesure hebdomadaire de la croissance est effectuée à l’aide d’un appareil de mesure appelé vernier.

Des premiers résultats forts intéressants

Bien que ce genre d’étude doive être envisagé sur une longue période, les résultats obtenus jusqu’à présent sont très intéressants, et ce, principalement à cause des conditions climatiques des deux dernières années. On se souviendra que le printemps 2010 a été hâtif, chaud et sec. Au contraire, celui de 2011 fût tardif, humide et relativement froid. Des conditions idéales pour démarrer un projet de suivi phénologique et de croissance.

L’effet de la température sur la phénologie s’est révélé de deux manières différentes dans les premiers résultats. D’abord, en fonction des sites, un décalage de 7 et de 22 jours a été observé dans le début de la croissance des bourgeons entre les années 2010 et 2011. L’effet de la température est aussi observable le long du gradient altitudinal. En 2010 par exemple, le début de la croissance des bourgeons de l’épinette noire a débuté le 20 mai au niveau du Saguenay (30 m d’altitude), le 11 juin près du centre de découverte et de services du parc (230 m d’altitude) et finalement le 25 juin au sommet (900 m d’altitude). En fonction de l’espèce et du site, entre 3 et 5 semaines seulement sont nécessaires pour réaliser la majeure partie de la croissance des nouveaux bourgeons.

Développement des bourgeons de l’épinette noire et du sapin baumier le long d’un gradient altitudinal, du Saguenay jusqu’au sommet du mont Valin en 2010 et 2011.

Même si on connait un peu mieux les causes de la différence de début de la croissance le long du gradient d’altitudinal, il reste beaucoup de travail pour confirmer les premières observations et améliorer la compréhension de la croissance en milieu boréal. Les printemps sembleront peut-être moins magiques, mais chaque pas qui est fait vers l’avancement des connaissances et la compréhension des phénomènes naturels nous permet de mieux les connaître, de les apprécier davantage et, on l’espère, de mieux les protéger.


Claude Pelletier, biologiste et responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national des Monts-Valin, pelletier.claude@sepaq.com.

Annie Deslauriers, professeure-chercheure à l'Université du Québec à Chicoutimi.

Photos : Ariel Ferland-Roy, Denis Langevin et Claude Pelletier.


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