Blogue de conservation

Prodigieuses libellules à la tourbière du parc national de Frontenac

6 octobre 2015


La tourbière du secteur Saint-Daniel et ses pourtours forestiers abritent une communauté inusitée de libellules. Certaines espèces y ont été observées pour la première fois dans cette région des Appalaches. D’autres n’y avaient jamais été répertoriées au sud du fleuve Saint-Laurent. Quelques-unes constituent même des incursions récentes dans la province.

Un îlot boréal dans le Québec méridional

La tourbière du secteur Saint-Daniel, au parc national de Frontenac, couvre une superficie de 1,11 km2. L’inventaire des libellules en cours de réalisation depuis 2014 révèle une diversité provisoire de 52 espèces. Un constat singulier dans le sud du Québec, sauf que l’assemblage d’espèces témoigne d’une filiation de type boréal.

Une portion de la tourbière est dite « structurée », ce qui constitue un phénomène peu commun à cette latitude. Son couvert végétal est interrompu par une succession de longues mares concentriques séparées par de minces cordons de sphaignes. Ces mares d’eau attirent de nombreuses espèces de libellules qui y cohabitent et y complètent leur cycle vital. La pessière environnante offre les conditions propices à la maturation et à l’alimentation des adultes émergents qui reviennent vers les nombreuses mares pour la reproduction.

Figure 1 Vue aérienne de la tourbière du secteur Saint-Daniel

Figure 2 Mares concentriques

Figure 3 Splendide mare à sarracénies pourpres

Quelques faits saillants

Parmi les découvertes, certaines espèces sont répertoriées pour la première fois au sud du fleuve Saint-Laurent et, par le fait même, dans cette région des Appalaches. C’est le cas pour la cordulie de Robert (Somatochlora brevicincta), dont les occurrences connues - au nombre de 12 - se limitaient aux zones bioclimatiques boréales et subarctiques. Il en va de même pour un tout petit anisoptère, du nom onirique d’elfe (Nannothemis bella), considéré rare dans les zones tempérées mixte et feuillue avec seulement 9 occurrences connues au Québec.

Figure 4 La cordulie de Robert

Figure 5 L’elfe

Plusieurs grosses libellules de la famille des Æschnides ont pu être observées. L’æschne à zigzags (Æshna sitchensis) et l’æschne subarctique (Æshna subarctica) sont connues pour leurs affinités nordiques. Leurs découvertes dans la tourbière structurée représentent les mentions les plus méridionales au Québec.

Figure 6 L’æschne à zigzags

Figure 7 L’æschne subarctique

2 espèces présentant des populations bien établies dans la tourbière, l’æschne pygmée (Gomphæschna furcillata) et la cordulie bistrée (Williamsonia fletcheri) sont sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables au Québec. Le statut d’aire protégée du parc national de Frontenac garantit la pérennité de ces populations au sein de la tourbière.

Figure 8 L’æschne pygmée

Figure 9 La cordulie bistrée

Fait des plus surprenants, 2 espèces récemment établies au Québec ont pu être capturées en vol au-dessus des mares herbeuses. Il s’agit d’une libellule aux ailes couleur orangé, nommée à juste titre, la chaleureuse (Libellula semifasciata), et d’un petit zygoptère du nom d’agrion d'Anna (Enallagma anna).

Figure 10 La chaleureuse

Figure 11 L’agrion d'Anna

Dans le premier cas, quelques spécimens ont été observés sur une période de vol de quelques semaines en juin 2015. L’espèce avait été rapportée pour la première fois au Québec en juin 2014, suite à l’observation fortuite d’un seul individu dans la région de Saint-Hyacinthe, en Montérégie. Dans le second cas, seul 1 spécimen de cette petite libellule bleue aux longs cerques a pu être observé et capturé dans la tourbière en juillet 2015. L’espèce a été découverte pour la première fois au Québec en juillet 2012, dans la région de Saint-Lazare-de-Vaudreuil, en Montérégie. Cette mention dans la tourbière structurée représente la troisième localité connue au Québec. Dans les deux cas, il n’est pas clair que cet habitat abrite des populations établies ou simplement des individus en dispersion.

De nouvelles espèces à découvrir…

L’écosystème particulier de la tourbière structurée du parc national de Frontenac et sa position géographique presque aux limites sud du Québec offrent des perspectives prometteuses pour la découverte de nouvelles espèces encore jamais recensées dans la province. De ce nombre, une petite cordulie, la cordulie annelée (Williamsonia lintneri), un petit anisoptère printanier répertorié dans les États frontaliers du Maine, du New Hampshire et de New York, est à surveiller. Elle est considérée rare dans toute son aire de répartition.

Les excursions de terrain se poursuivront pour une dernière saison en 2016 et permettront, entre autres, de préciser la période de vol des différentes espèces de cette communauté inusitée de libellules.

Remerciements

Des remerciements sont adressés à Michel Savard, responsable de l’Initiative pour un atlas des libellules du Québec, pour les informations relatives aux espèces récemment introduites sur le territoire du Québec.

Références

DOMAINE, É.N. Desrosiers et B. Skinner, 2010. Les insectes susceptibles d’être désignés menacés ou vulnérables au Québec. Le Naturaliste canadien, 134(2) : 16-26.

NATURESERVE, 2015. NatureServe Explorer : An online encyclopedia of life (web application). NatureServe, Arlington. Disponible en ligne à http://www.explorer.natureserve.org.

SAVARD, Michel, 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). Initiative pour un atlas des libellules du Québec, avec le soutien d’Entomofaune du Québec (EQ) inc., Saguenay, Québec, 53 p.


Alain Mochon est responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national de la Yamaska. mochon.alain@sepaq.com

Photos: Alain Mochon, parc national de Frontenac, Sépaq.


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