Pour une meilleure protection du caribou de la Gaspésie…
14 February 2012
Depuis près de dix ans, les actions de rétablissement de la population du caribou de la Gaspésie visent notamment l’atténuation des impacts de l’exploitation forestière, la régulation des prédateurs, la réduction du dérangement humain et la sensibilisation des usagers du territoire. Malgré tous les efforts déployés pour rétablir la population, son déclin persiste. Qu’elles sont les solutions possibles et socialement acceptables pour assurer sa pérennité?
Portrait actuel de la population
Malgré la réalisation de toutes les actions de rétablissement identifiées au plan 2002-2012, l’inventaire aérien réalisé en octobre dernier présente des résultats décevant. En effet, la population totale est actuellement estimée entre 85 et 120 individus avec seulement 3 % de faons dans la population. La moyenne des 29 dernières années est de 14 % faons alors que le seuil permettant à la population de se maintenir est de 17 %. La baisse alarmante du recrutement des cinq dernières années évoque la gravité de la situation notamment pour la harde du mont Albert. En effet, depuis deux ans aucun faon n’a été vu durant le survol automnal.
Figure 1. Historique du pourcentage de faons observés à l’automne dans la population de caribou de la Gaspésie entre 1983 et 2011, lors de l’inventaire aérien annuel. Source : MRNF
Le plan de rétablissement 2002-2012
L’atteinte des objectifs du plan de rétablissement se traduit par l’identification de onze actions. En plus de celles déjà mentionnées, notons la révision de l’habitat légal, l’application d’un plan de protection du caribou et l’exploitation rationnelle de l’ours noir par la chasse sportive dans les territoires adjacents au parc national de la Gaspésie. Toutes ces actions ont été bénéfiques aux caribous. Certaines ont des effets directs comme la régulation des prédateurs. Alors que d’autres, agiront à long terme en améliorant notamment le cadre légal de protection de l’habitat du caribou. Mais force est de constater que les objectifs de 175 caribous et 17 % de faons identifiés pour l’échéance du plan de rétablissement ne seront pas atteints. Le prochain plan de rétablissement du caribou de la Gaspésie devra alors identifier d’autres actions qui permettront au caribou de survivre.
Mesures de mitigation dans l’aire du caribou
Malgré ce constat, les organismes concernés poursuivent leurs efforts. Notamment, le plan d’aménagement forestier de l’aire du caribou est actuellement en révision. Ce plan demeure le principal outil pouvant servir à reconstruire à moyen et long terme un habitat favorable au caribou. En effet, les pratiques forestières passées ont rajeuni la forêt et favorisé l’orignal, l’ours noir et le coyote. Les connaissances sur l’écosystème du caribou se sont bonifiées depuis la rédaction du dernier plan d’aménagement. On convient maintenant que ces modifications à l’habitat ont été déterminantes pour le caribou de la Gaspésie. Dans le contexte de la réforme du régime forestier et de la nouvelle stratégie d’aménagement durable des forêts (SADF), la planification de l’aménagement forestier devra contribuer au rétablissement des populations de caribou. Il semble maintenant nécessaire de considérer en plus des besoins du caribou, la grande mobilité de ses prédateurs et l’étendue de leur domaine vital.
Vision globale et solution durable?
Parallèlement à ces travaux, différents intervenants travaillent sur des projets visant notamment la création d’une mosaïque d’aires protégées afin de répondre davantage aux besoins et aux particularités du caribou, de la région et des exigences de la SADF. Identifié au plan régional de développement intégré des ressources naturelles et du territoire (PRDIRT) comme une espèce emblématique d’une grande richesse, le caribou de la Gaspésie représente un attrait important pour la Gaspésie. Le plan de mise en œuvre qui en découle ciblera des actions visant le maintien et l’augmentation de la population.
Le caribou de la Gaspésie est toujours vivant
Contrairement à d’autres espèces rares ou menacées, le faible effectif de la population de caribou n’empêche pas son observation et il est relativement facile de l’apercevoir dans son habitat naturel. Ainsi, on peut accéder au mont Jacques-Cartier et vivre une expérience mémorable. En effet, en été, les visiteurs ont 85 % de chance de voir des caribous au sommet de cette montagne. Il ne s’agit donc pas d’une espèce fantomatique impossible à voir au point où l’on se demande si elle existe réellement. Malgré sa précarité, le caribou de la Gaspésie constitue un élément majeur de la biodiversité, sa seule présence dans le massif gaspésien représente un phénomène rare et unique pour la région. Le caribou est un véritable attrait socio-économique puisqu’il est l’icône du parc national de la Gaspésie et qu’il est pour plusieurs visiteurs un élément de motivation de leur visite dans la région.
Comment faire pour inverser la tendance?
Les plans d’aménagement et de rétablissement, les actions de sensibilisation, l’implication de différents groupes comme le Conseil régional de l’environnement, Nature Québec et Conservation caribou Gaspésie ne sont que quelques exemples qui révèlent une ferme volonté à soutenir et favoriser le rétablissement de la dernière harde de caribou vivant à l’état sauvage au sud du fleuve Saint-Laurent. Chaque personne doit être fière d’avoir réussi à préserver de l’extinction cette population génétiquement distincte. D’autres choix doivent maintenant être faits. Il est urgent de se rallier afin de mettre en place des orientations et des actions qui inverseront la tendance et assurera la pérennité de l’une des plus grandes spécificités de la Gaspésie. Évidemment, comme les actions posées jusqu’à ce jour, les nouvelles options envisagées auront des conséquences sur nos activités, notre environnement et les espèces impliquées. L’ouverture et l’écoute sont certainement des attitudes bénéfiques pour trouver des issues innovatrices et efficaces pour assurer une meilleure protection du caribou de la Gaspésie…
Claude Isabel, responsable du service de la conservation et de l’éducation du parc national de la Gaspésie, isabel.claude@sepaq.com.
À l’emploi du parc national de la Gaspésie depuis 1989 et membre de l’équipe de rétablissement du caribou de la Gaspésie depuis 2003, M. Isabel constate les changements survenus depuis plus de vingt ans dans l’écologie du caribou de la Gaspésie.
Photos : Denis Desjardins, Philippe Henry