Blogue de conservation

Paléontologie « à la québécoise » : de vieux petits poissons à la mode du jour

1 mai 2012


Des chercheurs d’un peu partout à travers le monde s’intéressent aux fossiles de Miguasha depuis la fin du 19e siècle, une tradition qui se poursuit toujours. Depuis une dizaine d’années, la recherche sur les fossiles de Miguasha a pris un nouveau virage : elle est faite majoritairement au Québec. Cette recherche vise non seulement à décrire et classer ces poissons fossiles, mais plus particulièrement à mieux comprendre l’évolution des poissons en étudiant la croissance de poissons fossiles vieux de 380 000 000 d’années!

La recherche au parc national de Miguasha : l’histoire courte d’une longue tradition

À Miguasha, la recherche scientifique était au cœur du développement et de la renommée du site fossilifère avant même qu’il ne devienne un parc de conservation. Dès la création du parc en 1985, ce site fêtait déjà plus de 100 ans de recherche, les toutes premières études portant sur ces fossiles ayant été publiées en 1880. Pendant ce premier siècle, la recherche fut essentiellement menée à l’étranger, par des scientifiques qui récoltaient des fossiles sur le site et les apportaient aux quatre coins du monde. D’ailleurs, plus de 8000 fossiles de Miguasha sont ainsi conservés dans divers musées du monde entier. Aujourd’hui, quelque 300-500 nouveaux fossiles découverts annuellement enrichissent les collections du Musée d’histoire naturelle du parc, qui est situé à proximité de la falaise fossilifère.

La salle de collection du musée d’histoire naturelle du parc national de Miguasha et quelques-uns de ses nombreux spécimens.

La paléontologie et Miguasha : une passion qui gagne du terrain au Québec!

Les fossiles de Miguasha font encore partie intégrante de la recherche pour plusieurs paléontologues internationaux, mais la recherche faite au Québec prend de plus en plus sa place. Ainsi, un partenariat privilégié de recherche existe entre le parc national de Miguasha et l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ce partenariat rend accessible la paléontologie des vertébrés à des étudiants francophones à la maîtrise et au doctorat alors qu’avant 2000, les étudiants québécois désireux de se perfectionner en paléontologie devaient poursuivre leurs études universitaires à l’étranger. Jusqu’à maintenant, six étudiants ont, ou ont eu, l’opportunité de contribuer à la recherche sur les fossiles de Miguasha dans le cadre de leurs études graduées à l’UQAR.

Une discipline de recherche en croissance au parc : l’Évo-Dévo!

La majorité des projets de recherche en paléontologie effectués à l’UQAR concernent une discipline en plein essor, soit la biologie évolutive du développement, ou Évo-Dévo (pour ÉVOlution et DÉVeloppement). Cette discipline est un amalgame de la biologie du développement et de la biologie évolutive. La première étudie les mécanismes et la génétique du développement embryonnaire, alors que la seconde étudie les changements transmis au fil des générations et menant, entre autres, à l’apparition de nouveautés anatomiques.

Mais comment sont liés les fossiles de Miguasha, vieux de 380 000 000 d’années, et cette discipline qui s’intéresse au développement généralement limité à l’étude des organismes vivants? En fait, parmi les poissons fossiles découverts à Miguasha, il y a de très petits spécimens qui sont des larves et des juvéniles identifiés chez 14 des 20 espèces connues au parc. Pour plusieurs de ces espèces, l’éventail des tailles préservé permet d’étudier les diverses étapes du cycle de vie, des stades larvaires à adulte. Les fossiles de Miguasha offrent donc des opportunités exceptionnelles en Évo-Dévo, car à l’échelle mondiale, il n’y a qu’environ 90 espèces des quelque 2000 espèces de poissons fossiles décrites pour lesquelles des séries de croissance sont connues. Donc, les fossiles de Miguasha occupent une place de plus en plus importante dans la littérature Évo-Dévo et ils n’ont pas fini de faire parler d’eux!

Un grand éventail de taille est connu pour le placoderme Bothriolepis canadensis. Le plus gros (à droite) mesure environ 20 cm de longueur.

La recherche de façon plus concrète

Concrètement, les études en Évo-Dévo permettent de mieux connaître certaines espèces fossiles et leur biologie, mais aussi de pouvoir obtenir des indices pour mieux comprendre l’évolution au sein de certains groupes de poissons.

Récemment, un projet de recherche de maîtrise complété à l’UQAR a permis de mieux comprendre certains changements évolutifs dans la forme du corps d’un groupe de poissons ayant encore quelques rares représentants vivants, soit les dipneustes ou poissons à poumons. Au cours de leur longue évolution, la forme de leur corps a changé considérablement. Afin de comprendre cette évolution, Isabelle Béchard a étudié des centaines de fossiles d’un dipneuste de Miguasha, le Scaumenacia curta. La particularité de ces fossiles est qu’il s’agit de larves et juvéniles vieux de 380 000 000 d’années, mesurant environ entre 12 mm et 6,5 cm de longueur. Cette jeune chercheure québécoise a démontré que la forme du corps des dipneustes adultes actuels se rapproche de celle des larves des dipneustes fossiles. Ainsi, l’évolution des dipneustes est, entre autres, liée à des changements associés au développement de ces poissons fossiles.

Toujours dans cet univers de l’Évo-Dévo, un projet de doctorat en cours vise à décrire le développement d’une autre espèce de Miguasha, soit le placoderme Bothriolepis canadensis, à partir d’une série de très petits individus découverts il y a quelques années dans la falaise. Ce projet vise à décrire la formation des différents os qui couvraient la tête, le corps, mais aussi les nageoires pectorales de ces poissons. Ces minuscules poissons cuirassés commencent à livrer leurs secrets sur leur développement, et qui sait, peut-être ainsi pourrons nous découvrir pourquoi ce groupe de poissons dominait les océans et estuaires du Dévonien avant leur extinction il y a quelques 360 000 000 d’années.

Deux espèces qui font l’objet d’études en Évo-Dévo au parc national de Miguasha, à gauche : le dipneuste Scaumenacia curta et à droite : le placoderme Bothriolepis canadensis.

Une histoire à suivre

Le potentiel de recherche en Évo-Dévo est loin d’être épuisé au parc national de Miguasha. Des centaines de petits spécimens larvaires et juvéniles attendent encore d’être étudiés sous tous leurs angles. L’intérêt qu’ils suscitent est loin d’être proportionnel à leur taille! Il s’agit d’un patrimoine précieux et unique qui continuera d’être mis en valeur grâce aux projets de recherche qui se poursuivront en partenariat avec l’UQAR.

Pour en savoir plus

Sur l’historique de la recherche au parc :

Sur les fossiles de Miguasha et l’Évo-Dévo :

Sur l’Évo-Dévo en général :


France Charest, étudiante au doctorat en biologie à l’UQAR et coresponsable du service de la conservation et de la recherche au parc national de Miguasha, charest.france@sepaq.com.

Richard Cloutier, paléontologue (PhD) et professeur à l’UQAR.

Photos : Johanne Kerr, Steve Deschênes, UQAR, Paul Lemieux, Richard Cloutier et parc national de Miguasha.

Illustrations : François Miville-Deschênes.


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