Des relictes vivantes à protéger sur les rives du Lac Saint-Jean
11 décembre 2012
La mer de Laflamme occupait la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean à la fin du dernier âge glaciaire. Des espèces de plantes et de poissons d’affinité marine y subsistent encore aujourd’hui. Le parc national de la Pointe-Taillon constitue un refuge pour des plantes qui témoignent de cet environnement marin maintenant disparu.
Un environnement en évolution
Au cours de la dernière glaciation, le poids du glacier a eu pour effet d’abaisser l’écorce terrestre des régions qu’il recouvrait. Lors de la fonte du glacier, les terres déprimées ont commencé à se relever très lentement après avoir été libérées de l’emprise des glaces. Ce processus lent se poursuit encore aujourd’hui. C’est pour cette raison que 7 000 à 10 000 ans avant aujourd’hui le socle rocheux de la région naturelle des basses-terres du Saguenay–Lac-Saint-Jean s’était abaissé sous le niveau de la mer. Un bras de la mer de Champlain, laquelle occupait alors les basses-terres du Saint-Laurent, a envahi la vallée du Saguenay pour venir emplir également la cuvette des basses-terres du Lac-Saint-Jean. Cette extension de la mer de Champlain a été nommée mer de Laflamme. Cette étendue marine avait une salinité variable. En effet, il semble que des conditions saumâtres régnaient dans sa partie nord, là où d’importantes rivières libèrent de grands volumes d’eau douce.
Les témoins d’un passé marin
Des organismes ont suivi cette transgression marine pour venir s’établir dans les basses-terres du Saguenay–Lac-Saint-Jean. La remontée progressive du socle rocheux a ensuite fait régresser les eaux marines jusque dans la vallée du Saguenay. C’est ainsi que l’environnement marin présent au Lac-Saint-Jean s’est modifié graduellement pour laisser place à un lac d’eau douce, soit le lac Saint-Jean tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les organismes vivant en bordure de la mer de Laflamme ont vu leurs conditions de vie se transformer en quelques milliers d’années, passant d’un environnement marin à des conditions d’eau douce. La plupart n’ont pu s’y maintenir mais quelques-uns ont résisté.
C’est le cas de l’Hudsonie tomenteuse (Hudsonia tomentosa), de l’Ammophile à ligule courte (Ammophila breviligulata) et de la Gesse maritime (Lathyrus maritimus), des plantes psammophiles, c'est-à-dire qui vivent sur les sols sablonneux. Celles-ci colonisent les rivages marins et s’observent encore aujourd’hui sur les rives du parc national de la Pointe-Taillon. Ces plantes remarquables, dites relictes, s’observent également hors du parc, ailleurs sur les berges du lac Saint-Jean. Toutefois, elles sont menacées par l’altération des berges et le piétinement. Elles font donc l’objet d’une attention toute particulière au parc national.
Des plantes à protéger
Les colonies qui parsèment les rives du parc national de la Pointe-Taillon ont été inventoriées pour la première fois en 1990 (Dignard, 1990) afin de dénombrer et localiser les colonies tout en évaluant leur condition. Il a alors été possible de déterminer que l’ensemble du flanc sud de la pointe Taillon accueille de l’Ammophile à ligule courte et de la Gesse maritime. Leur implantation est discontinue et forme des colonies distinctes. L’inventaire a été renouvelé en 2002 par le service de la conservation du parc national dans le but d’implanter un suivi quinquennal. Nous avons alors pu constater que les colonies se portaient bien et étaient même en expansion. Les rives du parc ont été à nouveau scrutées en 2007 puis en 2012. Les données obtenues en 2012 sont en traitement actuellement. Toutefois, les résultats de l’inventaire effectué en 2007 indiquent que les colonies poursuivent leur expansion.
Dans la principale zone de services du parc s’observe une colonie remarquable de plantes relictes qui fait également l’objet d’un suivi. L’Hudsonie tomenteuse, un petit arbuste prostré au sol, occupe l’arrière d’une dune littorale où elle partage l’espace avec l’Ammophile à ligule courte et la Gesse maritime. Les abords de ce site étant très fréquentés en période estivale la colonie a été protégée par des cordages dès les années 90. Depuis ce temps la colonie s’étend et a pour effet de capter davantage les grains de sable transportés par le vent ce qui permet à la dune de se développer. À cet endroit, à l’intérêt de voir une colonie de plantes relictes protégées se greffe le plaisir d’être dans un environnement visuel rappelant le bord de mer.
Protéger pour transmettre
Le passé marin de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean a inscrit de nombreuses empreintes dans l’environnement (dépôts marins, fossiles de coquillages, plantes relictes, populations de poissons enclavées). La création du parc national de la Pointe-Taillon en 1985 a contribué au maintien de berges naturelles en bordure du lac Saint-Jean, un plan d’eau devenu lac-réservoir pour la production hydroélectrique et grandement convoité pour la villégiature. Des plantes remarquables témoignent de son passé marin et subsistent toujours sur les berges du parc où elles sont protégées, afin de permettre aux générations qui nous succèderont de les découvrir à leur tour avec plaisir.
Référence :
Dignard, Normand, 1990. Inventaire des colonies d’espèces végétales reliques du parc de la Pointe-Taillon, Lac-Saint-Jean, Québec, Herbier du Québec, MER, 22 p.
Dominique Crépin, responsable du service de la conservation et de l'éducation au parc national de la Pointe-Taillon, crepin.dominique@sepaq.com.
Photos : Mathieu Dupuis et parc national de la Pointe-Taillon.