Blogue de conservation

Une forme rare d’épinoche à trois épines

1 décembre 2017


L’épinoche à trois épines est un petit poisson répandu dans l’hémisphère nord et fréquent dans la région du Témiscouata. Toutefois, au parc national du Lac-Témiscouata, une forme particulière est présente dans 2 des lacs du territoire.

Un poisson à l’armure réduite

Dans les années 1980, des recherches réalisées sur des lacs faisant maintenant partie du parc national du Lac-Témiscouata ont permis de découvrir que les populations d’épinoches à trois épines présentaient des variations importantes de leur squelette. L’épinoche à trois épines est normalement dotée d’une armure protectrice composée de plaques osseuses et d’épines dorsales et pelviennes. Ces plaques sont réputées jouer un rôle de défense auprès des prédateurs.

Les populations des lacs Croche et Rond ont toutefois une morphologie extrêmement modifiée. Leurs épines dorsales et pelviennes sont très courtes, et leurs plaques osseuses latérales sont atrophiées. Ces variations ne sont observées ailleurs que sur les îles de la Reine-Charlotte en Colombie-Britannique et dans les Gébrides extérieures en Écosse. Chez certains poissons échantillonnés au parc national du Lac-Témiscouata, on retrouve même une disparition complète de la ceinture pelvienne. Cette variation squelettique n’est observée à aucun autre endroit dans le monde. Des fossiles d’épinoches datant du pliocène (il y a environ 4 millions d’années) montrent aussi cette variation.

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Figure 1. Variation morphologique entre les épinoches du lac Témiscouata (a) et du lac Rond (b), tirée de Lacasse & Aubin-Horth (2013).

Une origine marine

L’épinoche à trois épines est une espèce provenant des océans. Après le retrait des glaciers il y a environ 15 000 ans, de nouveaux habitats sont devenus disponibles pour sa colonisation. Peu à peu, l’espèce a envahi l’eau douce dans l’hémisphère nord. Toutefois, ces nouveaux habitats d’eau douce étaient bien différents des océans. Si l’épinoche de mer possède une morphologie de défense bien développée, elle se serait adaptée à son nouvel environnement. Les épinoches marines ont un plus grand nombre de plaques latérales que les épinoches d’eau douce. Les concentrations en sel et en calcium pourraient être des raisons de la réduction de ces plaques osseuses, de même que la diminution de la prédation.

Des populations menacées?

Les lacs Ronds et Croche sont situés au sommet des montagnes et n’étaient pas colonisés par les espèces prédatrices de l’épinoche. Par contre, dès 1978, des ensemencements ont été réalisés afin d’introduire l’omble de fontaine dans ces lacs pour la pêche sportive. L’épinoche à trois épines se retrouvait alors en présence de prédateurs. Si les plaques osseuses pelviennes constituent réellement une protection contre les prédateurs, on pourrait penser que les épinoches des lacs Rond et Croche sont peut-être menacées.

À la suite de recherches réalisées en 2010, l’apparition de plaques osseuses a été observée sur les individus du lac Croche. Les chercheurs suggèrent alors que l’introduction de l’omble de fontaine semble avoir eu un impact sur le développement de ces plaques osseuses. Les populations du lac Rond elles, semblent intactes.

Récemment, des pêches expérimentales ont été réalisées aux lacs Rond et Croche. On constate alors que l’omble de fontaine est bien présent, même si son abondance est faible en comparaison avec les lacs de la région. L’analyse du contenu des estomacs a montré que l’épinoche à trois épines est la principale proie de l’omble de fontaine. D’autres espèces de poissons, des cyprins, ont aussi été identifiées. Leur présence pourrait aussi nuire à l’épinoche à trois épines, car ils se nourrissent des mêmes insectes et crustacés. Les dernières données révèlent qu’aujourd’hui, l’épinoche à trois épines serait l’espèce de poisson la moins abondante des lacs Rond et Croche.

Depuis la création du parc en 2009, la pêche est interdite sur les lacs Rond et Croche. Mais la question demeure. Est-ce que la présence de l’omble de fontaine pourrait avoir pour effet de faire disparaitre cette variante rare d’épinoche? Pourtant, malgré la compétition entre les espèces et la prédation, l’épinoche à trois épines arrive normalement à cohabiter avec les cyprins et l’omble de fontaine. Dans les prochaines années, les populations d’épinoches continueront probablement d’intéresser les chercheurs. Une chose est certaine, l’équipe de conservation du parc continue de surveiller de près cette espèce.

Références

Développemment durable, Environnement et Parcs, Québec, Projet de Parc National du Lac Témiscouata, État des connaissances, 2005.

LACASSE, J., AUBIN-HORT, N. 2013. Divergence chez deux populations lacustres d’épinoches à trois épines du Québec : variations morphologiques et comportementales. Université Laval.

PAQUET-WALSH, A., LEMAY, Y. 2014. Diagnose et caractérisation de la population d’omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) du lac Croche, au Parc national du Lac-Témiscouata. Université du Québec à Rimouski.

LAVIGNE, K., LEMAY, Y. 2015. Diagnose et caractérisation de la population d’omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) du lac Rond, situé dans le Parc national du Lac-Témiscouata. Université du Québec à Rimouski.

EDGE, Thomas A., COAD, Brian W. 1983. Reduction of the Pelvic Skeleton in the Threespine Stickleback, Gasterosteus aculeatus, in Two Lakes of Québec. Canadien Field-Naturalist 97(3): 334-336.

REIMCHEN, T.E. 1984. Status of unarmoured and spine-deficient populations of Threespine Stickleback, Gasterosteus sp., on the Queen Charlotte Islands, British Columbia. Canadian Field-Naturalist 98(1): 120-126.


Samuel Moreau est responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national du Lac-Témiscouata. moreau.samuel@sepaq.com

Photo de couverture: JaySo83


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