Blogue de conservation

Mont Mégantic : la première réserve internationale de ciel étoilé au monde a 5 ans!

7 août 2012


Depuis la nuit des temps, le ciel étoilé constitue l’un des spectacles les plus inspirants qui nous soit donné. De combien d’oeuvres et de projets la majesté de la nuit est-elle la source? Expérience universelle saisissante, la contemplation des étoiles questionne notre conscience et nous fait ressentir ce lien mystérieux qui nous relie à l'Univers. Ouverture sur l'infini et l'éternité, la grande scène de la voûte céleste nous relie aussi à nos ancêtres les plus lointains, qui s'étonnaient du même spectacle que nous. Pourtant d'apparence immuable, ce patrimoine naturel et culturel inestimable est aujourd'hui menacé de disparition. Notre fenêtre sur l’Univers se voile.

L'éclairage artificiel grandissant des villes noie le ciel étoilé et le masque à une proportion croissante de la population. Alors que le spectacle de la Voie Lactée était familier à chacun il y a quelques décennies à peine, il est aujourd'hui méconnu de la majorité. Dans les grandes agglomérations, c'est plus de 97 % des étoiles qui ne sont plus visibles. De nos jours, la plupart des enfants des sociétés développées grandissent sans connaître la vue d'un véritable ciel étoilé.

La pollution lumineuse et ses impacts

Notre besoin de sécurité nous a toujours poussé à éclairer la nuit. Créatures diurnes dont la vision est mal adaptée à la nuit, les être humains perçoivent instinctivement l'obscurité comme une menace. Jusqu'au XIXe siècle, l'éclairage nocturne était assuré par la Lune, des torches et de modestes lanternes. Mais l'avènement de l'électricité a tout changé et favorisé le développement d'un éclairage permanent et, peu à peu, abusif de la nuit.L’expression « pollution lumineuse » désigne ainsi les sources d'éclairage artificiel générant une nuisance pour l'environnement humain ou naturel. L'impact de la pollution lumineuse sur le ciel étoilé est celui qui retient d'abord l'attention, mais il en existe de nombreux autres dont les conséquences ne sont pas moins négligeables : lumière intrusive, éblouissement, dénaturation des paysages nocturnes, perturbations hormonales, gaspillage énergétique, dérèglement des écosystèmes, etc.

Les biologistes et les écologistes prennent de plus en plus conscience de l'ampleur de l'impact la pollution lumineuse sur les organismes et les écosystèmes. Chaque année, l'éclairage artificiel affecte les populations d'oiseaux, ces derniers se tuant sur les infrastructures humaines. De nombreuses espèces marines, notamment certaines espèces de tortues menacées, sont aussi désorientées ou effrayées par les lumières des zones littorales, ce qui perturbe leur délicat cycle de reproduction. Les populations d'insectes sont aussi perturbées, tout comme les plantes dont les rythmes internes et les processus hormonaux sont affectés. Les êtres humains ne sont pas épargnés par cette forme de pollution. Un nombre grandissant d'études médicales établissent en effet une corrélation entre le manque d'obscurité et certains types de cancers. Ces recherches mettent en cause la production de mélatonine, une hormone sécrétée uniquement en l'absence complète de lumière et favorisant la réponse du système immunitaire. Toutes ces connaissances se résument dans un principe qui semble évident : la vie a besoin de nuit.

Pourtant, contrer la pollution lumineuse n'implique pas de compromis sur la sécurité et la visibilité. Un éclairage bien conçu permet souvent de mieux répondre à ces besoins en plus d'améliorer l'apparence d'un site, de réaliser des économies d'énergies, de réduire les impacts écologiques et de préserver le ciel étoilé. Que ce soit pour l'astronomie, l'économie ou l'écologie, pour la sécurité ou pour la beauté, nos sociétés ont tout à gagner à s'éclairer plus intelligemment.

Un projet de lutte à la pollution lumineuse au mont Mégantic

Au tournant du millénaire, les membres de la communauté astronomique québécoise estimaient que la luminosité nocturne du ciel au sommet du mont Mégantic avait plus que doublé depuis l'ouverture de l'observatoire. La situation se détériorait et on commençait à s'inquiéter pour la viabilité scientifique de l’observatoire. Plusieurs initiatives sont alors mises sur pied pour tenter de trouver une solution et en 2003 est mis sur pied le projet de lutte contre la pollution lumineuse par l'ASTROLab du parc national du Mont-Mégantic. Coordonné par Pierre Goulet et Chloé Legris, respectivement directeur du parc et chargée de projet, le plan s'articule autour de trois axes: la sensibilisation, la réglementation et la conversion de l'éclairage. Élaboré en collaboration avec différents partenaires, le projet est bien arrimé avec le milieu régional et réussit à se financer avec des fonds gouvernementaux dédiés à l'efficacité énergétique.

Cette approche multi-latérale commence à porter fruit en 2005, avec l'adoption d'une réglementation sur l'éclairage par la région du Granit (MRC), suivie en 2006 par celle du Haut-Saint-François. C'est aussi cette année là que se met en branle le programme de conversion, une caractéristique distinctive du projet de l'ASTROLab. Car si d'autres projets de lutte contre la pollution lumineuse ont précédé celui du mont Mégantic ailleurs sur la planète, ce dernier est toutefois le premier qui va descendre sur le terrain pour modifier concrètement et immédiatement les dispositifs d'éclairage des municipalités, des commerces, des industries et des particuliers. Ainsi, en 2007, les municipalités locales convertissent leur éclairage de rue par des dispositifs moins puissants mais plus performants. Plusieurs habitants de la région ne remarquent simplement pas que l'éclairage de leur rue a été modifié, ce qui montre bien qu'il est possible de limiter la pollution lumineuse et le gaspillage énergétique sans compromis sur la sécurité. Au total, c'est plus de 3 300 luminaires qui sont remplacés dans la région, entraînant des économies d'énergies de près de 2 Gigawatt-heure et une réduction de la pollution lumineuse d'environ 35 %. L'impact sur le ciel étoilé est immédiat et impressionnant, dépassant même les attentes des initiateurs du projet.

La réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic : une première mondiale

Afin d'assurer la pérennité de la vocation astronomique du mont Mégantic, le plan d'action de l'ASTROLab a dès le départ comme objectif de créer une réserve de ciel étoilé afin qu'un statut officiel de protection soit accordé à la montagne et à ses environs. Mais en regardant du côté des pionniers de la protection du ciel nocturne, on constate que si des reconnaissances informelles sont accordées ou que certains territoires s'autoproclament réserves de ciel noir, aucune démarche internationale certifiée n'existe encore pour octroyer un statut de protection officiel et une reconnaissance rigoureusement documentée. Une démarche conjointe est donc initiée avec l'International Dark Sky Association (IDA) afin de combler cette lacune. Fondée en 1988 et basée aux États-Unis, l'IDA est l'organisation reconnue mondialement comme faisant autorité en matière de pollution lumineuse. Parallèlement au projet du mont Mégantic, cette organisation formalise donc en 2006 différents statuts de protection du ciel étoilé ainsi que des critères précis permettant à un territoire de se qualifier.

Qu'est-ce qu'une réserve internationale de ciel étoilé? Selon la définition qu’en donne l’IDA, il s'agit d'un espace public ou privé de grande étendue jouissant d’un ciel étoilé d’une qualité exceptionnelle et faisant l’objet d’une protection à des fins scientifiques, éducatives, culturelles ou dans un but de préservation de la nature. La réserve doit comprendre une zone centrale où la noirceur naturelle est préservée au maximum et une région périphérique où les administrateurs publics, les individus et les entreprises reconnaissent l’importance du ciel étoilé et s’engagent à le protéger à long terme. En plus des réserves, l’IDA définit également des communautés et des parcs de ciel étoilé. C'est donc le 21 septembre 2007, lors d'un colloque international sur la pollution lumineuse tenu au mont Mégantic, que le projet de l'ASTROLab voit son accomplissement reconnu par la création officielle de la première réserve internationale de ciel étoilé au monde, un titre qui fait maintenant la fierté et la notoriété de la région. Quelques mois plus tard, en hommage à cette réalisation unique, la responsable du projet, Chloé Legris, reçoit le titre de scientifique de l'année par la société Radio-Canada. En regard de la disparition rapide du ciel étoilé dans les sociétés développées, c'est en effet une contribution historique que d'avoir donné naissance au premier parc national des étoiles! Depuis lors, trois autres réserves ont été créées à traverse le monde, en Angleterre (2011), en Namibie(2012) et en Nouvelle-Zélande(2012).

Si la motivation originelle du projet a été de protéger la viabilité scientifique de l'observatoire et que son acceptabilité socio-économique est passée par l'économie d'énergie, il se peut bien qu'avec le passage du temps l'on se rende compte que le legs le plus précieux de la réserve est ailleurs. Peut-être réaliserons-nous un jour que l'héritage le plus fondamental de ce territoire protégé aura simplement été de préserver un accès pour tous à l'une des expériences les plus puissantes qui soient offertes à l'humanité : celle du ciel étoilé. Longue vie à la première réserve internationale de ciel étoilé!

Pour en savoir plus :
Réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic
Le slam du ciel étoilé
Chloé Legris, Scientifique de l'année 2007


Sébastien Giguère, responsable de l'éducation au parc national du Mont-Mégantic et coordonnateur scientifique à l'ASTROLab du parc national du Mont-Mégantic, giguere.sebastien@sepaq.com.

Photos : Parc national du Mont-Mégantic, NASA, Google Maps, Sébastien Giguère et Guillaume Poulin.


Soyez informé

Inscrivez-vous aux courriels de la Sépaq et soyez le premier à connaître nos nouveautés, nos offres et nos promotions spéciales.

S'inscrire