SOS Chauves-souris

Souvent associées aux monstres dans les récits d’épouvante, les chauves-souris constituent plutôt les victimes de l’histoire d’horreur en cours. La menace : le syndrome du museau blanc, qui se répand à une vitesse fulgurante et entraîne une hécatombe sans précédent dans les colonies de ces mammifères volants.

Photo : Merlin Tuttle’s Bat Conservation © Sépaq

« Il est minuit moins cinq », alerte Michel Delorme. L’ancien chef de la division des collections vivantes et de la recherche au Biodôme de Montréal s’inquiète pour la survie des chauves-souris qui hibernent là où le syndrome du museau blanc sévit, soit dans des cavernes naturelles ou des mines désaffectées. C’est le cas de cinq des huit espèces du Québec. Dès ses premières manifestations visibles dans la province en 2010, cette infection s’est montrée sans pitié. La réserve écologique de la Mine-aux-Pipistrelles, en Estrie, abritait près de 4 900 chauves-souris durant les mois d’hiver avant 2009. En 2012, elle comptait à peine huit survivantes. Si l’on additionne les pertes au Canada et aux États-Unis, plus de 6 millions de chauves-souris auraient été décimées depuis la première manifestation du syndrome en 2006 dans l’État de New York. Aujourd’hui, il s’est répandu dans toutes les régions du Québec, à l’exception de l’île d’Anticosti.

La chauve-souris nordique (Myotis septentrionalis), la pipistrelle de l’Est (Perimyotis subflavus) et surtout la petite chauve-souris brune (Myotis Lucifugus) sont les plus vulnérables. En 2014, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) les a désignées comme espèces en voie de disparition. Les inventaires réalisés chaque année dans quatorze parcs nationaux au sud du Québec, à l’aide de détecteurs d’ultrasons qui permettent d’enregistrer et d’identifier les espèces en place, confirment une décroissance du nombre de ces petites chauves-souris cavernicoles.

Un champignon derrière le drame

La cause de cette hécatombe? Un champignon, nommé Pseudogymnoacus destructans. Celui-ci prospère dans les milieux froids et humides comme les cavernes. Lorsque le champignon prolifère sur les parois, il poursuit son chemin et pousse sur les parties non poilues de l’animal endormi, soit son museau, ses oreilles ou ses ailes, qui a abaissé sa température corporelle une fois en hibernation. « Leur système immunitaire, arrêté complètement, n’est pas capable de combattre le champignon et d’empêcher sa propagation à l’intérieur de la peau », explique Nathalie Desrosiers, biologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

La déshydratation et les démangeaisons provoquées par l’infection fongique réveillent la chauve-souris. Ces interruptions constantes de son sommeil épuisent ses réserves de graisse, tout juste suffisantes pour traverser une hibernation normale d’environ 200 jours avec un seul réveil par mois pour boire et uriner. À bout d’énergie, elle trépasse avant l’arrivée du printemps. On la retrouve généralement gisante au sol ou morte de froid à l’extérieur dans une quête vaine pour trouver de la nourriture afin de reprendre des forces.

Photo : François Fabianek © Sépaq
Photo : D.F. McAlpine NB Museum © Sépaq

Rôle écologique

Mystérieux, ces mammifères constituent un maillon important des écosystèmes et un précieux allié des humains. La planète compte près de 1300 espèces. Les pêches, les bananes et les mangues seraient absentes des étals de nos supermarchés en raison de l’absence de certaines chauves-souris pollinisatrices des pays du Sud. Au Québec, toutes les espèces se nourrissent d’insectes. En été, 300 petites chauves-souris brunes en ingurgitent près de 20 millions chaque nuit dans les environs de leur colonie!

Elles nous débarrassent ainsi d’insectes piqueurs, mais surtout de bestioles nuisibles à l’agriculture. Selon les résultats d’une étude menée à l’Université de Boston publiés en 2011, les chauves-souris évitent aux Étatsuniens de dépenser dans ce domaine entre 5 et 50 milliards de dollars par année en pesticides.

Chercher des solutions

Leur disparition aurait donc d’importantes conséquences. Devant l’urgence, le gouvernement du Québec a mis en place en 2014 une équipe de rétablissement des chauves-souris. Elle réunit des experts de plusieurs organisations, dont la Sépaq, à la recherche de solutions. Cette équipe devrait déposer un plan d’action au cours de l’année 2018.

Les cavernes demeurent pour elle une préoccupation. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pose notamment des grilles à l’entrée de certaines pour empêcher des visiteurs de perturber davantage l’hibernation des chauves-souris. Il sensibilise aussi les spéléologues aux mesures à prendre pour éviter les contaminations. En revanche, les biologistes demeurent hésitants à recourir à des fongicides, par crainte de déséquilibrer les écosystèmes de ces lieux accueillant aussi des arthropodes, des araignées et des microorganismes.

Protéger les maternités

La majorité des efforts se tourne donc plutôt vers les greniers. La protection des colonies s’installant dans ces lieux durant l’été est capitale pour la survie de l’espèce, car il s’agit en fait de maternités. Entre mai et août, les femelles reproductrices se regroupent dans la chaleur, la noirceur et à l’abri des prédateurs pour donner naissance à leurs petits et les élever. Elles affectionnent particulièrement les arbres à tronc creux exposés au soleil. Or, ils se font maintenant rares en raison de la coupe du bois. C’est pourquoi les chauves-souris se rabattent sur les greniers ou les granges, où elles retrouvent des conditions similaires pour héberger leur pouponnière.

Comme aucune solution n’a été trouvée pour éradiquer le champignon, l’espoir réside surtout dans le maintien des spécimens qu’on y trouve et qui ont réussi à traverser l’hiver malgré le syndrome du museau blanc. « On peut penser que ce sont des survivantes qui ont résisté. Donc on espère qu’elles vont transmettre leurs gènes », souligne Jean-François Houle, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national de Plaisance. « L’hypothèse la plus probable, c’est que le salut des chauves-souris va passer par la résistance des individus, comme ce fut le cas pour les espèces qui ont survécu au fil du temps et qui ont évolué pour s’adapter à leur environnement. Mais comme ça va vite, on veut leur donner un coup de main. »

Certains dortoirs pourraient éventuellement jouer chez les chauves-souris le même rôle que les nichoirs chez les oiseaux. Dans notre contrée nordique, ils doivent être chauffés pour reproduire les températures entre 35 et 40 degrés propices aux maternités. Michel Delorme en expérimente un chez lui et travaille avec des ébénistes pour améliorer cette option. « Si jamais ça fonctionne et que les chauves-souris commencent à coloniser ces dortoirs, on pourrait y voir un espoir de remonter les populations. »

Photo : François Fabianek © Sépaq
Photo : Merlin Tuttle’s Bat Conservation © Sépaq

La population appelée en renfort

En attendant, les citoyens sont appelés en renfort. En 2012, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a mis en ligne le site Web Chauves-souris aux abris (chauve-souris.ca), mis à jour par le Centre de la science de la biodiversité du Québec (CSBQ). Lorsqu’une personne découvre une colonie de chauves-souris dans sa grange ou son grenier, elle peut la signaler par l’entremise de la plateforme Web. Elle peut aussi y trouver de l’information, notamment sur les précautions à prendre. Car si une foule de mythes non fondés sont véhiculés sur ces mammifères, celui selon lequel ils peuvent être porteurs de rage tire sa source d’une vérité. Même si cela concerne seulement 1 % des spécimens, mieux vaut éviter d’y toucher à main nue!

Le site Chauves-souris aux abris permet du même coup de mieux cartographier les populations de chauves-souris au Québec et dans d’autres provinces qui se sont jointes au projet, comme l’Alberta et le Manitoba. Si une recherche démarre ou qu’un médicament efficace est mis au point pour les sauver, les spécimens pourront ainsi être retracés plus facilement.

Une activité dans les parcs

Malgré toute l’information qui circulait à propos de la position précaire des chauves-souris et de l’importance de rapporter leurs maternités, Jean-François Houle a constaté que la gravité de la situation demeurait méconnue du grand public.

À la fin de l’année 2016, il a proposé d’organiser une activité de découverte. Avec des employés de différents parcs nationaux, mais aussi des partenaires tels que le Groupe Chiroptères du Québec, le Biodôme de Montréal et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, il a monté une activité clé en main : SOS Chauves-souris.

Avec ses diapositives, ses jeux-questionnaires et ses capsules vidéo, elle a obtenu le prix d’excellence de l’Association québécoise d’interprétation du patrimoine (AQIP). Proposée dans la plupart des parcs de la Sépaq, l’activité vise à dévoiler le rôle écologique des chauves-souris, trop souvent dans l’ombre, pour inciter la population à signaler les maternités, tout en évitant de presser des exterminateurs à éliminer des spécimens établis dans leur grenier. « Il faut éduquer et sensibiliser les gens. Puis une fois qu’ils comprendront l’importance de ces animaux, ils seront plus en mesure de les protéger à l’avenir », considère Michel Delorme.

Bulletin de conservation 2018

Cet article fait partie de l'édition 2018 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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