Une oasis de tranquillité pour sauver les bélugas

Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent a fêté ses vingt ans en 2018. Et pour célébrer l’occasion, il a offert un cadeau aux bélugas : le calme dans l’une de leurs pouponnières.

Parcs Canada / Jean-Louis Provencher | © Sépaq

Les bélugas peuvent désormais nager en toute tranquillité dans la baie Sainte-Marguerite. Pour une première fois, du 21 juin au 21 septembre 2018, aucune embarcation nautique ne pouvait entrer dans ce secteur particulier du fjord du Saguenay. Seuls les kayakistes et les pêcheurs sportifs étaient autorisés à y circuler, sans s’arrêter, dans un étroit couloir.

Depuis 2006, les excursionnistes, les plaisanciers et les kayakistes sont invités à éviter la baie sur une base volontaire. En 2013, la mesure est devenue obligatoire pour les excursionnistes et les kayakistes commerciaux, en demeurant volontaire pour les plaisanciers. « On s’est rendu compte que la mesure volontaire ne fonctionnait pas toujours et que le nombre de bateaux dans la baie avait tendance à augmenter lorsque les bélugas étaient présents », indique Chloé Bonnette, responsable au partenariat au parc marin du Saguenay-Saint-Laurent.

La révision du Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, effective depuis 2017, est venue changer la donne. Elle accorde un nouveau pouvoir au directeur fédéral de ce parc géré conjointement par Parcs Canada et la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq) : celui de créer des secteurs d’exclusion temporaire. Le recours à ce levier pour la baie Sainte-Marguerite s’est rapidement imposé.

La baie Sainte-Marguerite constitue un habitat essentiel pour les femelles bélugas et leurs veaux. Entre juillet et août, on peut y voir nager des bélugas plus d’une journée sur deux. Environ 90 % des troupeaux observés sont composés d’adultes et de jeunes, tandis que près de la moitié comprennent des nouveau-nés. Des comportements associés à l’allaitement, au repos et à la socialisation y sont fréquemment observés, et même des naissances. La présence de poissons pélagiques en ferait d’ailleurs un endroit idéal pour entraîner les petits à la chasse.

Avant de fermer la baie à la navigation pour la période estivale, les autorités du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ont consulté les différents acteurs du milieu, notamment ceux de l’industrie touristique, les pêcheurs récréatifs et les représentants des marinas voisines, et ont travaillé en concertation avec eux afin de recueillir leurs commentaires et de leur soumettre une mesure de protection adaptée à la situation. La mesure a reçu un appui favorable, puisque que tous comprenaient l’urgence d’agir tant le déclin de la population de bélugas du Saint-Laurent devient alarmant.

En voie de disparition

Après tout, le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent a vu le jour en 1998 à la demande des collectivités, alertées par l’état de santé du béluga et de son habitat dans les années 1980. Un siècle plus tôt, leur nombre dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent se situait entre 7 500 et 10 000. Depuis, la population n’a cessé de chuter. À la fin des années 1970, il n’en restait qu’environ 1 000. La chasse à la baleine blanche a été interdite en 1979, mais cette loi n’a pas assuré le rétablissement de la population, qui a recommencé à diminuer au tournant du millénaire. Le dernier recensement de 2012 fait état de seulement 889 bélugas. Devant ce constat, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a recommandé en 2014 de faire passer le statut du béluga du Saint-Laurent d’espèce menacée à espèce en voie de disparition.

Le déclin des dernières années apparaît associé à une baisse du taux de survie des jeunes et à une hausse du taux de mortalité des femelles. Chez celles-ci, un pourcentage élevé de décès semble attribuable à des complications au moment de l’accouchement ou après.

Parmi les principales menaces qui pèsent sur les bélugas, il y a la diminution de la disponibilité et de la qualité de la nourriture, les contaminants, les effets des changements climatiques sur l’écosystème et la dégradation des habitats, mais aussi le dérangement occasionné par les activités humaines, notamment le trafic maritime.

Contrairement aux autres baleines, qui migrent dans le Saint-Laurent pour s’alimenter pendant la période estivale et qui se reproduisent ailleurs, le béluga réside toute l’année dans le Saint-Laurent. « Il est chez lui, insiste Chloé Bonnette. Il passe sa vie dans les eaux du Saint-Laurent. Il donne naissance à ses petits ici, les éduque et leur apprend à vivre en groupe. » Le va-et-vient constant d’embarcations près des bélugas peut perturber leurs activités vitales. D’autant plus que leur nature curieuse peut parfois les amener à aller voir ces embarcations plutôt que de s’occuper de leurs petits, de s’alimenter ou de se reposer.

Parcs Canada / Jean-Louis Provencher | © Sépaq
Parcs Canada / Yannick Lapointe | © Sépaq

Un « refuge acoustique »

L’ouïe chez les baleines est beaucoup plus utile que la vue dans les eaux sombres et turbides du fjord du Saguenay et de l’estuaire du Saint-Laurent. Les bélugas émettent une large variété de sons qui leur permettent de communiquer entre eux, de s’orienter et de trouver leur nourriture par écholocation. On les surnomme d’ailleurs les « canaris des mers ».

Des études menées dans l’estuaire du Saint-Laurent ont démontré que le passage répété de bateaux perturbe la communication des baleines. Ainsi, le bruit pousse les bélugas à s’exprimer de manière différente. Ils changent de fréquences pour communiquer, augmentent l’intensité et la durée de leurs chants, répètent davantage les mêmes sons, puis décuplent ou diminuent le nombre de vocalises par minute, parfois jusqu’à se taire. Durant l’automne 2018, Parcs Canada a collaboré avec Pêches et Océans Canada afin de répertorier la signature sonore de différentes embarcations voguant dans le parc et de repérer celles qui masquent les fréquences émises par les mammifères marins.

Pour la mère et son petit, les conséquences de cette interférence dans leurs communications pourraient être plus dramatiques. Des recherches actuellement menées dans la baie Sainte-Marguerite par Valeria Vergara, chercheuse pour Ocean Wise, en collaboration avec le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) de Tadoussac, suggèrent que les mères rompent simplement la communication avec leurs veaux lorsqu’un bateau persiste à naviguer autour d’eux. Le petit béluga risque donc de perdre contact et de s’égarer du troupeau. Même si ce constat reste à confirmer, l’interaction entre le transport maritime et les bélugas s’est intensifiée au cours de la dernière décennie, notamment dans les secteurs où les femelles sont accompagnées de leurs jeunes. Une raison de plus pour isoler la baie Sainte-Marguerite de ce trafic afin d’offrir aux bélugas un « refuge acoustique » durant les mois les plus importants, soit ceux réservés aux naissances et au soin des jeunes.

Distance d'approche et limites de vitesse

Sur les 1 245 km2 du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, des normes ont été instaurées pour restreindre les perturbations causées par la navigation et s’assurer du bon comportement des navigateurs en présence de mammifères marins.

Depuis 2002, les bateaux devaient déjà maintenir une distance minimale des baleines et se trouver à au moins 400 mètres des bélugas. La révision du règlement, entrée en vigueur en 2017, a resserré et précisé ces obligations. Si une embarcation navigue à moins d’un demi-mille marin, soit à moins de 926 mètres de l’un d’entre eux, elle doit maintenant poursuivre son chemin à une vitesse constante entre 5 et 10 nœuds, soit à environ 10 à 20 km/h. Ainsi, elle ne pourra pas s’arrêter ni circuler trop rapidement dans l’espace vital des bélugas. Elle doit par la même occasion éviter les changements de cap et maintenir une distance d’au moins 400 mètres des baleines blanches. « Ce cadre a été établi en tenant compte à la fois des commentaires des navigateurs et des comportements des bélugas, afin de réduire les risques de collision et de dérangement », indique Manuela Conversano, agente en gestion des ressources au parc marin Saguenay–Saint-Laurent.

De plus, la limite de vitesse pour la navigation a été abaissée dans l’embouchure du Saguenay à 15 nœuds, soit à moins de 28 km/h. Auparavant, elle s’élevait à 25 nœuds. « On a fait des observations depuis la rive pour caractériser ce secteur, explique Manuela Conversano. Ce qu’on a vu, c’est que les bélugas y sont très présents, notamment l’été, et peuvent s’éparpiller sur de grandes distances. Donc on a trouvé qu’il s’agissait d’une bonne façon de diminuer les répercussions du bruit et les risques de collision. »

Associés à ces derniers risques, les motomarines, aéroglisseurs et sports nautiques de traction sont désormais interdits dans l’ensemble du parc marin.

L'heure des bilans

Malgré la situation précaire du béluga du Saint-Laurent, l’ensemble des initiatives pour le protéger présente un bilan encourageant à l’occasion des vingt ans du parc marin Saguenay–Saint-Laurent. « Quand il a été implanté en 1998, c’était pas mal le Far West », rappelle Chloé Bonnette. Aujourd’hui, des acteurs de l’industrie et des organismes de conservation se retrouvent assis autour de la même table pour discuter des plans de gestion et des révisions réglementaires. 

« En vingt ans, la recherche scientifique a permis d’en apprendre plus sur le béluga, son environnement et l’état de sa population », ajoute Manuela Conversano. « Avec ces connaissances, on peut parfois mettre en place des mesures de conservation plus efficaces. » Et offrir ainsi aux bélugas une oasis de tranquillité.

Bulletin de conservation 2019

Cet article fait partie de l'édition 2019 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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