Protéger la nuit

La pollution lumineuse n’inquiétait au départ que les astronomes. Mais la science documente de plus en plus sa répercussion sur les écosystèmes. Raison de plus pour la réduire.

Parc national du Lac-Témiscouata Parc national du Lac-Témiscouata
Parc national du Lac-Témiscouata JC Lemay
Parc national du Bic © Eric Deschamps

Le clapotis d’un ruisseau, le bruissement des feuilles dans le vent, le froissement des pas d’un rongeur sur le sol : une fois le soleil couché, ces murmures résonnent avec fracas. « Notre vue est limitée, donc nous devenons plus sensibles. Les bruits qui passent inaperçus le jour nous semblent amplifiés la nuit », souligne Sébastien Giguère. Le responsable de l’éducation au parc national du Mont‑Mégantic et coordonnateur scientifique de l’ASTROLab remarque cet effet chez les visiteurs lors des randonnées nocturnes.

À une époque où des lumières artificielles omniprésentes éclairent nos vies jusqu’aux petites heures du matin, l’humain se révèle de moins en moins habitué à cette sensation. Le parc national du Mont‑Mégantic permet de revivre cette expérience nocturne grâce à sa lutte contre la pollution lumineuse amorcée en 2003. Au départ, l’objectif de la démarche était tout autre : protéger les activités liées à l’astronomie, notamment celles menées à l’Observatoire du Mont‑Mégantic. Mais aujourd’hui, c’est une évidence : réduire la pollution lumineuse préserve bien plus que l’éclat de la Voie lactée.

« On est passés de protéger les étoiles à protéger la nuit », constate Sébastien Giguère. Et pas seulement la nuit des visiteurs, mais aussi celle qui rythme les cycles naturels de la faune  et de la flore. « La nuit est un habitat qu’on doit protéger. »

© Dominique Boudreault

La nuit court après le jour

Après tout, une grande proportion des amphibiens   et des mammifères sont des animaux nocturnes. Quant à la faune aviaire, elle compte littéralement plusieurs oiseaux de nuit.

« Les animaux ne peuvent pas fermer les rideaux », rappelle Johanne Roby, professeure de chimie et membre du groupe de recherche sur la pollution lumineuse au Cégep de Sherbrooke. « Les cycles de noirceur et de clarté ont été les mêmes pendant des milliards d’années, jusqu’à l’arrivée de l’électricité il y a environ 130 ans. L’éclairage perturbe la période d’activité des animaux, leur vision, leur orientation, leur migration et leur comportement social. »

Il en va de même pour les insectes, dont la reproduction peut parfois être chamboulée. Difficile pour une luciole, qui communique et courtise grâce à sa bioluminescence, de se faire remarquer à côté d’un éclairage artificiel beaucoup plus brillant!

D’autres espèces se montrent carrément attirées par les lumières artificielles, autour desquelles elles volettent jusqu’à épuisement. Une étude réalisée au début des années 2000 a permis d’établir que chaque lampadaire tuait environ 150 insectes par nuit.

L’ampoule choisie peut‑elle avoir une incidence? La question est loin d’être bête. Après tout, on sait que les sources qui émettent plus de lumière bleue suspendent chez l’humain, comme chez bien d’autres mammifères, la sécrétion d’une hormone favorisant le sommeil, appelée mélatonine. C’est ce qui explique pourquoi il est parfois difficile de s’endormir tout de suite après avoir regardé un écran.

« On voulait connaître l’influence de la couleur de la lumière sur la mortalité des insectes », raconte Johanne Roby, qui a donc entrepris une expérience. À l’été 2016, elle a installé, l’instant de quelques nuits, un éclairage artificiel à trois endroits distincts du parc national du Mont‑Mégantic. « La zone était intéressante, parce qu’on voulait éviter la contamination d’autres lumières. » À chaque endroit, des filets ont été accrochés sous trois luminaires différents : une lampe au sodium haute pression à la teinte jaunâtre, une DEL blanche de 4 000 kelvins et une DEL ambre.

Quand est venu le temps de dénombrer les insectes morts de fatigue dans les filets, le constat était on ne peut plus clair : sur près de 5 000 individus, près de la moitié avaient échoué dans les toiles placées sous les DEL de 4 000 kelvins. Les éclairages jaunes et ambrés se partageaient l’autre moitié des insectes capturés.

Parc national des Îles-de-Boucherville © Mikael Rondeau

« On avait calibré tous les luminaires à la même puissance lumineuse », précise Rémi Boucher, coordonnateur scientifique de la Réserve de ciel étoilé, qui a accompagné Johanne Roby dans cette expérience. « Malgré tout, le DEL blanc attirait deux fois plus d’insectes. »

Et pas seulement des moustiques! Plusieurs papillons pollinisateurs se sont retrouvés dans les filets. « Les papillons de jour sont aussi dérangés, parce qu’ils ne vont plus se coucher à la même heure à cause de l’excès de lumière », soulève Johanne Roby.

L’équilibre de la chaîne alimentaire, comme la dynamique entre proies et prédateurs, s’en trouve souvent bouleversé. « Il se crée des concentrations très grandes d’insectes autour des lampadaires, qui se font alors manger par les chauves‑souris », souligne Johanne Roby.

Les insectes ne sont pas les seuls à devenir vulnérables sous les projecteurs. Pour éviter d’être aperçus sous une lumière crue, certains petits mammifères nocturnes limitent leurs mouvements, quitte à ne plus bouger pour trouver de la nourriture. Même les prédateurs finissent par en payer le prix. Cette vigilance complique par exemple la chasse de la chouette rayée, qui distingue déjà mal ses proies sous une lumière artificielle plus propice à l’éblouir qu’à l’aider.

Parc national de la Yamaska © Julie Audet

Vol de nuit

L’éclairage artificiel désoriente d’autres espèces. Il dérègle, par exemple, la boussole interne de certaines salamandres , qui peinent avec lui à se rendre à leur habitat de reproduction. Quant aux oiseaux migrateurs qui voyagent la nuit, il n’est pas encore clair s’ils se guident avec les étoiles et la lune. Chose certaine, ils ont tendance à tourner en rond au‑dessus des villes, le halo des lumières urbaines les incitant à dévier de leur trajectoire. « Ils perdent toute l’énergie dont ils ont besoin pour se rendre à destination », souligne Johanne Roby. Parfois, ils entrent carrément en collision avec les structures ou bâtiments illuminés!

La lumière artificielle attire des animaux, mais en repousse d’autres. Si des espèces de chauves‑souris profitent du buffet d’insectes servi aux lampadaires, d’autres fuient l’éclairage artificiel comme la peste, quitte à moins sortir pour chasser ou à abandonner la région où elles habitent. « Quand on met de la lumière partout, c’est comme si on bâtissait un mur pour certaines chauves‑souris, ajoute Johanne Roby. Il faut des corridors de noirceur pour que les animaux puissent circuler.

La chercheuse mène justement à Sherbrooke un projet de trame noire entre le mont Bellevue et la rivière Magog, afin de réduire la fragmentation des habitats causée par la pollution lumineuse. Elle rêve d’étendre cette trame noire jusqu’au parc national du Mont‑Mégantic.

La Sépaq, quant à elle, se montre déterminée à accompagner les autres parcs nationaux du Québec dans leurs démarches pour réduire la pollution lumineuse. Et pour y arriver, il n’y a pas de doute : la nuit porte conseil!

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