Les parcs nationaux sous la loupe des chercheurs

Vastes terrains de découverte et d’expérimentation pour les scientifiques, certains parcs nationaux se transforment en grands laboratoires à ciel ouvert. Pour les gestionnaires, il s’agit d’occasions avantageuses de guider la prise de décision afin de conserver la santé des milieux naturels!

Parc national de Miguasha Parc national de Miguasha
Parc national de Miguasha Mathieu Dupuis

Le 4 août 2010, le garde‑parc patrouilleur Benoît Cantin trouve sur la plage du parc national de Miguasha un fossile de 1,57 mètre de long, le plus gros jamais trouvé à cet endroit. Près de 10 ans plus tard, l’analyse du premier spécimen complet d’Elpistostege watsoni, vieux de 380 millions d’années, parue dans la revue Nature, a l’effet d’une bombe : dans ses nageoires, cette bête possédait des doigts! Richard Cloutier, professeur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), dévoile ainsi le meilleur modèle fossile démontrant l’évolution des poissons en tétrapodes, qui ont conduit aux amphibiens, aux reptiles, aux oiseaux et aux mammifères.

Ce n’est pas la première découverte majeure réalisée au parc, figurant sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans les revues scientifiques les plus prestigieuses, les paléontologues ne se lassent pas de décrire le parc national de Miguasha sous toutes ses coutures… ou plutôt d’après toutes ses strates géologiques! Sa falaise recèle des fossiles exceptionnels d’espèces qui vivaient durant le Dévonien, lorsque la diversité des poissons atteignait des sommets.

France Charest a commencé à travailler à Miguasha comme garde‑parc naturaliste en 2003. « Je suis devenue accro à l’endroit et aux fossiles », raconte celle qui y est désormais responsable de la conservation et de la recherche.

Sur place, des excavations ciblées s’effectuent à la demande de scientifiques des quatre coins du globe, tandis que des fouilles systématiques et des patrouilles sur le territoire permettent de récolter des centaines de nouveaux spécimens chaque année. Les fossiles sont ensuite préparés et mis en collection dans un centre de recherche sur le site. Pour assurer un suivi efficace, chacun des 15 000 spécimens trouvés jusqu’ici a été associé à une fiche descriptive, à des photos ou à toute autre information pertinente dans une base de données informatisée.

C’est d’ailleurs la préposée aux collections du parc national de Miguasha, Johanne Kerr, qui a repéré en 2017 un fossile inhabituel décrit en 2021 dans la revue Scientific Report. Sa particularité? Offrir une rare trace laissée dans la pierre par un cténophore, un animal gélatineux ressemblant à une méduse!

Quant à France Charest, elle a jeté en 2018 un nouvel éclairage sur Bothriolepis canadensis, une espèce vedette figurant parmi les premiers vertébrés dotés d’une mâchoire. Dans un article publié dans Biology Letters, elle a prouvé que celle‑ci avait perdu ses nageoires pelviennes avec l’évolution. Elle poursuit actuellement ses travaux en analysant une roche couverte de bébés fossilisés de cette espèce. La recherche à Miguasha constitue certes une fenêtre privilégiée pour nous éclairer sur l’évolution de la vie sur Terre. Les découvertes qui y sont faites n’ont pas fini de nous surprendre!

Pour en savoir plus, consultez ce reportage réalisé dans le cadre de l'émission Découverte.

Parc national du Mont-Saint-Bruno © Sophie Tessier

Rétablir une population

Au parc national du Mont‑Saint‑Bruno, c’est plutôt pour éviter qu’une espèce relève de l’histoire ancienne que les chercheurs se mobilisent. En juin 2021, des centaines de rainettes faux‑grillon ont été relâchées dans des étangs conçus sur mesure selon leurs besoins. Type de sol, végétation, pente, digue, profondeur, tuyau pour évacuer le surplus d’eau : rien n’a été laissé au hasard. Tout a été pensé, repensé et testé depuis 2017 pour fournir un habitat idéal à cet amphibien pas plus gros qu’une pièce de deux dollars. Les étangs demeureront remplis entre deux et trois mois au début de chaque été, puis ils seront asséchés pour ne pas attirer ses prédateurs, comme la grenouille verte.

« C’est comme si on venait de leur offrir un super condo de luxe », illustre Sophie Tessier, coordonnatrice à la conservation et à l’éducation au parc national du Mont‑Saint‑Bruno. « Mais est‑ce qu’elles vont l’aimer? Est-ce qu’elles vont être en mesure d’y trouver toutes les conditions de reproduction? », se demande aujourd’hui celle qui avoue se faire parfois du souci en pensant à leur avenir.

Car le projet vise à rétablir une population menacée. Abondante dans le sud du Québec au milieu du 20e siècle, la population de rainettes faux-grillon s’est ensuite effondrée en raison du développement agricole et résidentiel. Dès 2015, le parc national du Mont-Saint-Bruno a convenu avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) d’aménager d’anciens fossés agricoles afin d’accueillir des rainettes faux‑grillon.

Dans un étang de Longueuil au printemps 2021, accompagnée de Lyne Bouthillier, biologiste au MFFP, elle a bravé en pleine nuit les eaux froides jusqu’à la taille pour en capturer. Celles attrapées ont ensuite été amenées au Biodôme de Montréal, pour une procréation assistée de cette espèce menacée. Le hic? En captivité, les rainettes n’ont pas tendance à se reproduire.

« Les femelles sont attirées par des mâles… qui chantent », explique Sophie Tessier. Pour leur donner un coup de pouce, les deux passionnées ont recouru à l’expertise d’une équipe de l’Université d’Ottawa en matière d’hormones chez les amphibiens. Après une injection d’hormones, les mâles se sont mis à chanter, et la reproduction a pu s’enclencher.

Grâce à cette méthode, 2 123 têtards ont vu le jour au Biodôme. Avant d’en relâcher une partie dans les étangs alors qu’ils étaient devenus de jeunes grenouilles, de minuscules implants permettant de les identifier ont été insérés sous leur peau par une équipe de l’Université Laval, dans l’objectif de comprendre à terme comment se développe la population de rainettes faux‑grillon, de suivre son évolution et de vérifier si elle migre vers deux autres étangs aménagés non loin, toujours au parc national du Mont‑Saint‑Bruno.

Tous les collaborateurs du projet ne peuvent désormais que se croiser les doigts en espérant entendre les rainettes chanter au sortir de leur torpeur hivernale.

Pour en savoir plus, consultez ce reportage réalisé dans le cadre de l'émission Découverte.

Parc national de l'Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé © Jean-Pierre Huard

Les fous de Bassan

Dans le golfe du Saint‑Laurent, la population de fous de Bassan fait elle aussi l’objet d’un suivi serré de la part des scientifiques. L’oiseau n’est pas menacé, mais une inquiétude planait il y a quelques années concernant le renouvellement de sa colonie au parc national de l’Île‑Bonaventure‑et‑du‑Rocher‑Percé. « On faisait des inventaires aux cinq ans quand, en 2012, on s’est rendu compte que quelque chose nous avait échappé : le taux de reproduction, de 73 % au début du suivi en 1994, venait de tomber à 8 % », raconte Rémi Plourde, directeur du parc. Depuis, l’UQAR assure un suivi annuel des nids.

Même si le taux de reproduction remonte, David Pelletier, enseignant au Cégep de Rimouski et doctorant à l’UQAR, a installé, à partir de 2019, de petites caméras sur le dos de certains fous de Bassan. Son but : mieux comprendre les habitudes alimentaires de ces oiseaux. Les images sont saisissantes! Cependant, pour en tirer des informations utiles, le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN) du Cégep de Matane est venu prêter main‑forte. Il a fait appel à l’intelligence artificielle pour rendre les appareils aptes à reconnaître les espèces de poissons aperçues dans les séquences vidéo.

De plus, des GPS ont été fixés sur la queue de certains fous de Bassan pour retracer leurs voyages. Leurs parcours ont de quoi inquiéter : les oiseaux se rendent deux fois plus loin qu’avant pour se nourrir, ce qui leur demande beaucoup plus d’énergie en plus de laisser leur nid vulnérable à la prédation plus longtemps. Ce comportement s’expliquerait en partie par la surpêche et les changements climatiques, qui raréfient les repas à proximité. Ces connaissances sont indéniablement précieuses pour mieux comprendre l’ampleur des modifications qui guettent les écosystèmes et les actions qui pourraient nous guider vers une utilisation plus durable des ressources. Qui aurait pu imaginer que ces « fous » avaient tant à dire?

Pékan © Nathan Chabaud

Le pékan et son habitat

Dans l’érablière du Témiscamingue, des chercheurs sont à l’affût d’un mammifère favorisé par les changements climatiques : le pékan. Ce mustélidé, plus gros qu’une martre, mais plus petit qu’un carcajou, se déplace aisément sur les couches de neige durcie par les pluies hivernales et les périodes de gel et dégel.

Nathan Chabaud, doctorant à l’Université du Québec en Abitibi‑Témiscamingue (UQAT), a installé 49 pièges photographiques pour épier le pékan sur un territoire s’étalant sur plusieurs milliers de kilomètres carrés. Il en a aussi capturé 14 pour les munir d’un collier GPS avant de les relâcher dans la nature. Il a pu répéter cette manœuvre de nombreuses fois dans le parc national d’Opémican, qu’il informe de ses travaux. « C’est un avantage pour nous, car il n’y a pas de trappe d’animaux à fourrure sur ce territoire, et on fait nos captures durant la même période », souligne Nathan Chabaud.

Certains résultats préliminaires l’étonnent déjà. « Un pékan équipé d’un collier GPS s’est déplacé 80 kilomètres au nord du lieu de capture, signale le chercheur. C’est beaucoup plus que ce qu’on s’imaginait. » Cette migration risque d’accroître le chevauchement de l’aire occupée par le pékan avec celle occupée par la martre. Les deux espèces entrent-elles en compétition? Ou la martre évite‑t‑elle plutôt le pékan?

« On essaie de comprendre comment le pékan utilise son environnement pour déterminer le type d’habitat qui lui est favorable », précise Nathan Chabaud. Ce rare prédateur du porc‑épic aimerait les forêts matures et pourrait se montrer sensible à l’aménagement forestier. Le MFFP l’a donc désigné comme une espèce d’intérêt provincial dans les zones d’érablières. Cette préoccupation motive en grande partie le projet d’acquisition de connaissances en cours, surtout que l’espèce a décliné dans d’autres régions d’Amérique du Nord.

« On pourra modéliser la présence du pékan à l’échelle des érablières du Québec, puis connaître l’évolution de son habitat par rapport aux années antérieures et voir s’il ne faut pas faire des efforts, explique‑t‑il. Ce sera un outil pour la conservation si l’on voit que la qualité de l’habitat se détériore. »

Parc national de la Jacques-Cartier © Mathieu Dupuis

Forêt naturelle?

Le parc national de la Jacques‑Cartier a permis à Martin Barrette, écologiste forestier à la Direction de la recherche forestière au MFFP, de démontrer l’efficacité d’un indicateur évaluant le degré de naturalité des forêts, soit pour vérifier à quel point la forêt étudiée se rapproche ou s’éloigne de son caractère naturel.

À l’aide des informations fournies sur les cartes écoforestières, comme les essences d’arbres en présence et l’âge des peuplements, et à l’aide de différents scénarios de modélisation, l’écologiste détermine s’il s’agit d’une forêt naturelle, semi‑naturelle, altérée ou artificielle.

Martin Barrette a soumis à l’analyse quatre territoires très différents, dont l’un dans un parc national, pour mettre cet indicateur à l’épreuve. Les résultats publiés en 2020 dans la revue Ecological Indicators ont démontré sa fiabilité: plus l’aménagement forestier est intensif, plus la naturalité diminue. À l’inverse, la naturalité est plus haute dans le parc national de la Jacques‑Cartier, où l’aménagement forestier a cessé depuis près de 40 ans, lors de la création officielle du parc.

Cela fait de cet outil, selon Martin Barrette, un «  indicateur non biaisé et impartial  » pour évaluer les répercussions réelles de la foresterie sur le paysage. Ces travaux ont mené à l’intégration de la naturalité des forêts parmi les indicateurs du programme de suivi environnemental dans les parcs nationaux. De cette façon, il est maintenant possible, par exemple, de mettre en relief la pression exercée par le broutage des cerfs de Virginie sur la régénération de certains arbres comme au parc national d’Anticosti.

De plus, cet indicateur pourra montrer l’écart qui existe entre la forêt protégée à l’intérieur d’un parc national et celle faisant l’objet d’aménagements forestiers en bordure. «  Cela peut devenir un outil précieux pour décrire la situation de manière quantitative et améliorer la discussion avec les voisins  », croit Martin Barrette.

La recherche pour une meilleure conservation

« Une bonne compréhension des milieux naturels des parcs nationaux est essentielle pour guider les stratégies de gestion et ainsi assurer la conservation des territoires qui nous sont confiés », explique André Despatie, directeur général des parcs nationaux et campings à la Sépaq.

« Pour y arriver, on veut augmenter le nombre de projets de recherche qui peuvent nous amener à mieux connaître les territoires des parcs nationaux afin de mieux les conserver », lance René Charest, spécialiste de la conservation à la Sépaq. Au‑delà des recherches en biologie, il souligne une volonté de travailler avec des chercheurs en sciences sociales, entre autres pour mieux comprendre les valeurs et préoccupations portées par la population et ainsi encourager sa participation aux efforts de conservation.

En 2010, la Sépaq a organisé un colloque pour amener les universités à s’intéresser davantage aux parcs nationaux. « Cela a porté ses fruits », constate‑t‑il. Par exemple, l’UQAR a créé, en collaboration avec le parc national de la Gaspésie, la Station d’études montagnardes des Chic‑Chocs. Installé au Centre de découverte et de services du parc, ce laboratoire offre un endroit privilégié pour préparer les instruments, enregistrer des données et conserver les précieux échantillons récoltés sur le terrain. Avec ce projet majeur, les scientifiques seront aux premières loges pour examiner les répercussions des changements climatiques sur cet environnement montagnard et alpin, ainsi que sur les plantes, insectes et mammifères rares ou caractéristiques qui l’habitent. La nouvelle infrastructure a déjà servi à des projets de recherche en botanique, en géologie et en entomologie, ainsi qu’à des activités d’enseignement. L’expertise acquise grâce à la station contribuera à l’exploration de solutions pour assurer la conservation de cet écosystème unique.

Si la science aide à mieux connaître les écosystèmes disparus il y a des centaines des millions d’années, elle permet aussi de mieux comprendre ceux d’aujourd’hui et de les préserver pour les générations futures.

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