Protéger un parc, de la forêt à la Voie lactée

En soufflant sur ses 125 bougies, le parc national du Mont‑Tremblant revoit la lumière de ses éclairages pour continuer d’apprécier celle des étoiles, brillant à des années‑lumière de là.

Parc national du Mont-Tremblant Parc national du Mont-Tremblant
Parc national du Mont-Tremblant Mikaël Rondeau

Par une nuit chaude de juillet, un ruban brillant trace une arche dans le firmament. Il s’agit de la Voie lactée. De notre point de vue, des centaines de milliards d’étoiles de notre galaxie se superposent et créent cette bande lumineuse dans le ciel dégagé du parc national du Mont‑Tremblant.

« C’est quelque chose de particulier qui mérite d’être conservé », souligne Hugues Tennier, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national du Mont‑Tremblant. Car nous sommes à moins de 150 km d’une ville, Montréal, où l’on ne peut observer à l’œil nu qu’une centaine d’étoiles, la profondeur de l’Univers y demeurant masquée par la profusion d’éclairage artificiel.

En 2019, ce parc s’est demandé quel legs il pouvait offrir aux Québécois pour célébrer son 125e anniversaire en 2020. Préserver le spectacle nocturne offert par la Voie lactée à moins de deux heures de route de la métropole est apparu un legs ambitieux pour les générations futures.

Hugues Tennier fait alors appel à des experts. Il n’a pas besoin de chercher bien loin pour les trouver. Il communique avec le parc national du Mont‑Mégantic. Pour maintenir les activités d’astronomie de l’Observatoire du Mont‑Mégantic et de l’ASTROLab et préserver la qualité de vie des collectivités de la région, le parc national du Mont‑Mégantic et la Corporation de l’ASTROLab se sont lancés dès 2003 dans un ambitieux projet de lutte contre la pollution lumineuse et se sont bâti une équipe spécialisée en la matière.

Malgré sa taille de 55 km2, ce parc a rallié à son objectif une trentaine de municipalités réparties sur un territoire presque 100 fois plus vaste. L’opération a été un succès : la région est devenue en 2007 la première réserve internationale de ciel étoilée reconnue par l’International Dark‑Sky Association (IDA). Ce projet constitue aujourd’hui une référence à travers le monde. Et l’équipe derrière cet exploit ne relâche pas ses efforts pour que les astres gardent leur éclat.

« Ce qui est intéressant avec la pollution lumineuse, c’est qu’il n’y a pas d’effet d’accumulation comme avec d’autres formes de pollution », remarque Mélina Dubois‑Verret, coordonnatrice à la conservation et aux partenariats à la Réserve internationale de ciel étoilé du Mont‑Mégantic. Pour s’attaquer au problème, il suffit de mieux éclairer.

Quand elle commence à aider le parc national du Mont‑Tremblant en 2019, l’équipe de la Réserve lance d’abord un inventaire de l’éclairage artificiel utilisé sur l’ensemble du site de 1510 km2. « Comme c’est un grand parc comptant plusieurs secteurs, il compte beaucoup de bâtiments et plusieurs luminaires, même si ce n’est pas excessif », constate‑t‑elle. Au total, plus de 230 dispositifs d’éclairage extérieurs sont caractérisés, photographiés, analysés, et ce, de jour et de nuit.

Chacun d’eux est évalué. A‑t‑on vraiment besoin d’un éclairage à cet endroit? Le faisceau lumineux pointe‑t‑il vers le sol ou se disperse‑t‑il vers le ciel? L’intensité du luminaire éblouit‑elle? La lampe s’allume‑t‑elle seulement durant les périodes nécessaires? Autant de questions qui permettent d’établir si l’éclairage artificiel est adéquat ou s’il mérite d’être remplacé. De plus, la couleur émise par chaque ampoule est notée. Les ampoules blanches, qui diffusent un pourcentage élevé de lumière bleue, voilent davantage les étoiles. Mieux vaut leur préférer des lampes ambrées, jaunes ou rouges, qui causent moins de pollution lumineuse.

Devant l’inventaire de ses sources de lumière, l’équipe du parc national du Mont‑Tremblant constate qu’elle peut aller plus loin. Elle se donne alors un autre but : obtenir la certification de parc international de ciel étoilé de l’IDA. Sans avoir l’envergure de la réserve internationale de ciel étoilé, ce titre exige de répondre à de nombreux critères. Parmi ceux‑ci, mettre sur pied des activités éducatives, adopter une réglementation, faciliter l’observation astronomique et s’assurer qu’à l’intérieur de 10 ans tous ses luminaires respectent les normes établies pour limiter la pollution lumineuse.

Selon Hugues Tennier, cet objectif sera atteint bien avant. Une cinquantaine de luminaires ont été remplacés en 2020 et 2021, afin que plus des deux tiers des systèmes d’éclairage soient déjà conformes. Des lampadaires, comme ceux des stationnements, ont été dotés d’une minuterie ou d’un détecteur de présence. L’éclairage des blocs sanitaires a, quant à lui, été revu en s’inspirant du bâtiment d’accueil du parc national du Mont‑Mégantic avec ses lumières rouges et jaunes.

Pour améliorer l’inventaire et documenter la conversion des luminaires, la Sépaq a élaboré une base de données géoréférencée liée à une application sur tablette. « Lorsqu’on change une ampoule sur le terrain, on peut facilement modifier la base de données », souligne Mélina Dubois‑Verret.

Cette solution ne servira pas seulement au parc national du Mont‑Tremblant. D’autres parcs nationaux suivent déjà ses traces. Pour les aider, Rémi Boucher, coordonnateur scientifique de la Réserve, a rédigé un guide d’éclairage et de réduction de la pollution lumineuse. « C’est un document qui fournit des indications aux gens de la Sépaq, mais également aux professionnels de l’architecture et aux fournisseurs avec lesquels ils font affaire », explique‑t‑il. Dans cette publication diffusée en avril 2021, il s’est inspiré de l’expérience de la Réserve de ciel étoilé, mais aussi des recommandations de nombreux organismes internationaux et de parcs nationaux aux pratiques exemplaires en Amérique du Nord. « Si un parc applique les directives de ce guide, il atteindra automatiquement les standards les plus élevés. »

© Hugues Tennier

Une constellation d’initiatives

Depuis l’automne 2020, un photomètre TESS‑W mesure la pollution lumineuse au parc national des Hautes‑Gorges‑de‑la‑Rivière‑Malbaie, dans la région de Charlevoix. « Je ne me souviens plus des chiffres, mais Rémi Boucher me disait qu’il faisait noir », lance Julie Hamelin dans un éclat de rire. Épaulée dans ses démarches par le coordonnateur scientifique de la Réserve internationale de ciel étoilé du Mont‑Mégantic, la responsable du service de la conservation et de l’éducation aux parcs nationaux des Hautes‑Gorges‑de‑la‑Rivière‑Malbaie et des Grands‑Jardins se montre encore étonnée par l’obscurité de ces secteurs la nuit. Les cartes de pollution lumineuse lui donnent raison : leur territoire demeure éloigné des concentrations d’éclairage artificiel.


Elle ne ménage pas ses efforts pour autant. Elle tente, comme le parc national du Mont‑Tremblant, de décrocher la reconnaissance de parc international de ciel étoilé de l’IDA. Le déclic s’est produit lorsque la Ville de Baie‑Saint‑Paul a fait appel à l’expertise de la Réserve dans le but de créer à son tour une réserve internationale de ciel étoilé dans la région de Charlevoix. « Je me suis dit qu’on devait faire partie de ce mouvement », souligne‑t‑elle. « Il faisait déjà noir, mais je trouvais qu’il fallait être conséquent avec la mission d’un parc national et protéger le ciel étoilé. »


Avec l’aide de Rémi Boucher, nous avons dressé un inventaire des luminaires dans les deux parcs. Prochaine étape : améliorer l’éclairage artificiel et l’amener à surpasser les normes minimales exigées par l’IDA.


Un photomètre TESS‑W a été installé au parc national des Grands‑Jardins à l’automne 2021, tout comme dans les parcs nationaux d’Opémican et d’Aiguebelle, en Abitibi‑Témiscamingue. Eux aussi démarrent un chantier pour obtenir le statut accordé par l’IDA. De quoi annoncer l’apparition prochaine d’une constellation de parcs de ciel étoilé à l’échelle du Québec.

© Hugues Tennier

Pour observer l’effet des initiatives, un nouveau type de photomètre permet de mesurer l’évolution de la pollution lumineuse. Deux de ces capteurs mis au point dans une université espagnole, appelés TESS‑W, pointent leur lentille vers le ciel du parc national du Mont‑Tremblant. Chaque minute de la nuit, ils mesurent la luminosité au zénith. Les données sont automatiquement versées dans un site Internet libre d’accès, qui recueille aussi celles de centaines d’autres endroits sur la planète, dont les parcs nationaux du Mont‑Mégantic et des Hautes‑Gorges‑de‑la‑Rivière‑Malbaie. Dans les analyses, on retranche certains moments qui pourraient fausser les interprétations, comme les soirs où la pleine lune brille au point qu’on pourrait la prendre pour un puissant projecteur.

© Mélina Dubois-Verret
© Mélina Dubois-Verret

La Sépaq élabore une méthodologie à partir des informations tirées des photomètres afin d’intégrer un indicateur de la pollution lumineuse à son programme de suivis des indicateurs environnementaux (PSIE). « Cela va permettre de voir si la pollution lumineuse augmente dans une région donnée », explique René Charest, spécialiste en conservation à la Sépaq. « Quand on regarde les cartes de pollution lumineuse, c’est hallucinant comme elle prend de l’ampleur. On pense qu’on peut aider à ladiminuer. »

Au parc national du Mont‑Tremblant, l’enjeu commence à se faire pressant. « On est ceinturés d’agglomérations qui produisent passablement de pollution lumineuse », signale Hugues Tennier.

Une mesure de la qualité du ciel y a été réalisée à l’aide d’une autre caméra spécialisée. Celle‑ci a permis de photographier l’ensemble de la voûte céleste. « On voit une très bonne qualité du ciel nocturne au zénith, mais aussi des dômes de pollution lumineuse à l’horizon, au‑dessus des villes environnantes », souligne Mélina Dubois‑Verret.

Le parc national du Mont‑Tremblant sensibilise ses voisins immédiats à la question et il les accompagne. Leur réponse a de quoi réjouir. La MRC des Laurentides (celle qui cause le plus de pollution lumineuse), la Station de ski du Mont‑Tremblant et plusieurs municipalités se sont engagées à protéger le ciel étoilé. C’est le cas, entre autres, de la Ville de Mont‑Tremblant, qui privilégie dans ses rues des luminaires ambrés de moins de 2 200 kelvins, qui émettent un spectre de couleur comptant moins de 10 % de lumière bleue. C’est beaucoup mieux que des DEL blanches qui émettent 20 % de lumière bleue, et cela fait de cette municipalité un chef de file en la matière.

Ce coup de main tombe à pic. « Le parc national du Mont‑Tremblant est situé à la limite du grand dôme de pollution lumineuse de la ville de Montréal. Il y a vraiment un enjeu de prévention », rappelle Mélina Dubois-Verret. Mais les villes de la région semblent enclines à suivre la voie montrée par le parc, afin qu’elles n’aient plus à voyager loin pour observer des étoiles brillant à des années‑lumière.

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Cet article fait partie de l'édition 2022 du bulletin « Dans notre nature ».

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