Chef Boulay

Chasseur et pêcheur d’exception

En collaboration avec Karina Durand

La première fois que j’ai rencontré le chef Jean-Luc Boulay, c’était durant le mois de janvier. Nous nous étions donné rendez-vous à son restaurant de la rue St-Ursule à Québec. Nous devions nous retrouver en avant-midi, le temps d’un café, pour discuter d’un projet qui allait réunir les trois passions du chef Boulay : la chasse, la pêche et la cuisine.

Le directeur de la réserve faunique Ashuapmushuan, Aurélien Launière, m’avait parlé de Jean-Luc Boulay comme l’un de ses clients préférés.

« Il chasse et il pêche depuis au moins 40 ans », m’avait-il dit. « Et puis, il cuisine le brochet de la tête à la queue, ce que la plupart des pêcheurs n’arrivent pas à faire. Et tu vas voir, il est tellement gentil. »

Quand Jean-Luc m’a accueilli au Saint-Amour, j’ai tout de suite su qu’Aurélien avait raison. Ce que je ne savais pas cependant, c’est que cette rencontre allait beaucoup me marquer.

Émile David | © Sépaq

La découverte de la chasse et de la pêche

En arrivant au Saint-Amour, j’ai été frappée par la prestance du chef Boulay. D’abord, il est grand, plus grand que je l’imaginais après l’avoir vu à la télévision, à l’émission Les Chefs. Il a, je dirais, quelque chose qui ressemble à une forme d’élégance brute; il est charismatique.

« Bonjour », m’a-t-il dit avec un grand sourire, et nous avons pris place à une petite table en retrait dans son restaurant, pour discuter tranquillement. Je venais lui parler d’un projet, mais avant tout, nous souhaitions faire plus ample connaissance. C’est ainsi qu’il m’a raconté son histoire, puis comment la restauration, la chasse et la pêche sont devenues les grands piliers de sa vie.

Jean-Luc Boulay est français. Il est arrivé au Québec en mai 1976, en plein cœur de la frénésie des Jeux olympiques de Montréal. Les hôtels et les restaurants qui se multipliaient par dizaine à ce moment manquaient cruellement de main d’œuvre, et le jeune Jean-Luc, alors âgé de 22 ans, venait prêter main-forte.

À son arrivée en sol québécois, il n’avait encore jamais touché à une canne à pêche. Mais le père de Linda, celle qui deviendrait plus tard son épouse et la mère de ses trois enfants, était un véritable mordu de chasse et de pêche. Et c’est là que tout a commencé. « Mon beau-père avait un petit camp de pêche dans Chaudière-Appalaches et il m’invitait souvent à y aller. C’est lui qui m’a tout appris. »

Peu après son arrivée au Québec, Jean-Luc a fait connaissance avec Jacques Fortier, celui qui deviendrait son associé et qui fonderait avec lui le restaurant le Saint-Amour, aujourd’hui l’une des adresses gastronomiques les plus réputées de la capitale. Grand amateur de chasse, Fortier lui a présenté des amis et l’a amené avec lui dans des aventures de chasse aux quatre coins du Québec, notamment à la chasse au cerf sur l’île d’Anticosti.

Avec les années, les rencontres et les expériences se sont multipliées.

Avec Stanley Welsh, Jean-Luc a découvert la chasse à l’oie des neiges, au canard, au faisan, au dindon sauvage et à la sarcelle. « Mon ami Stanley m’amenait avec lui l’automne, sur l’Île-au-Canot, une petite île paradisiaque tout juste en face de Montmagny. On y a vécu des semaines mémorables. »

Avec Johnny Carrier, Jean-Luc est parti en hélicoptère explorer l’immensité des territoires du Grand Nord québécois, pour chasser le caribou et pêcher le saumon dans les eaux cristallines de la Grande rivière de la Baleine. « On a fait des voyages incroyables avec Johnny », se rappelle-t-il, avec émotion.

C’est ainsi que d’un périple à l’autre, Jean-Luc est devenu un chasseur et un pêcheur curieux, polyvalent et surtout, passionné.

Aujourd’hui, il possède son propre petit camp de pêche, une cabane rustique sans eau courante ni électricité, située sur le bord d’un lac, dans les monts Valin. C’est son repère secret, sa « cabane au Canada » comme il l’appelle, un lieu où il retourne tous les printemps pour pêcher la truite indigène.

« J’ai besoin de ça moi, la nature. La chasse, ce n’est pas seulement récolter du gibier. C’est passer du temps dehors, avec nos amis, du monde qu’on aime. C’est partager, relaxer, bien manger. Mais c'est la liberté aussi, le grand air. »

Son moment préféré, de la chasse et de la pêche? Sans surprise, c’est le moment où on apprête le gibier, puis celui où on le déguste. Car avant d’être un amateur de chasse et de pêche, Jean-Luc Boulay est avant tout un chef.

« Je suis gourmand et j’ai voulu bien manger toute ma vie, alors je suis devenu cuisinier, m’a-t-il lancé d’un air sérieux, les yeux brillants. »

Karina Durand | © Sépaq
Karina Durand | © Sépaq
Nancy Guignard | © Sépaq
Nancy Guignard | © Sépaq

Maximiser le produit, toujours

La passion de Jean-Luc pour la bonne nourriture lui vient de son enfance.

« J’ai grandi sur une ferme, dans le temps où les frigos n’existaient pas. On conservait tout par lactofermentation. Mon père était jardinier, mais il ne connaissait ni les produits chimiques ni les engrais. »

À cette époque, cultiver de la nourriture était exigeant et les récoltes étaient précieuses; on ne pouvait simplement pas se permettre de gaspiller. C’est ainsi que Jean-Luc a appris à tout utiliser en cuisine, afin de maximiser chacun des aliments. Et ce principe, il l’applique encore et toujours, à tous les produits qu’il cuisine et aussi au gibier qu’il récolte.

« Prenons la chasse à la perdrix par exemple. Pour dépouiller ce gibier, de nombreux chasseurs mettent les pieds sur l’oiseau et tirent sur les pattes. Pour moi, c’est un scandale. Cette technique fait en sorte que l’on jette la moitié de la perdrix, alors que tout est consommable ou presque dans ce gibier, pas seulement les poitrines. »

Les cuisses? Jean-Luc nous recommande de les faire confire. On les met dans les fèves au lard, dans un mijoté, on fait un jus avec, ou une sauce. Il y a plus de goût dans les cuisses, nous dit-il, que dans les poitrines. Le foie? On le conserve et on en cuisine de délicieuses terrines, des mousses. Tout se mange dans une perdrix, même le cœur.

La technique que Jean-Luc recommande est simple. Il faut plumer l’animal et le garder en entier, comme un poulet. C’est le meilleur moyen de récupérer toutes les parties de la bête, pour pouvoir ensuite les apprêter.

Selon Jean-Luc, ce principe devrait s’appliquer à tous les gibiers, même à l’ours, et à tous les poissons, y compris le brochet. Tout se récupère et presque tout se mange. « Quand on ne sait pas, il faut s’informer », affirme-t-il. Il suffit d’utiliser les bonnes techniques pour bien éviscérer nos gibiers et bien fileter nos poissons. Ensuite, les apprêter devient beaucoup plus facile.

Pour Jean-Luc, c’est une vraie philosophie ; on devrait toujours maximiser et respecter le produit, et ça s’applique aussi aux aliments que l’on achète à l’épicerie.

« La nourriture, c’est précieux. Il y a encore des peuples dans le monde qui ne mangent pas à leur faim. On l’oublie parce qu’on est gâtés, chez nous, et qu’on vit dans l’abondance, mais la faim est une souffrance qui demeure une réalité à bien des endroits dans le monde. »

Et puis, ajoute-t-il, « c’est aussi une question de respect envers l’animal que l’on chasse ou le poisson que l’on pêche, mais également envers les producteurs qui récoltent avec soin ce qui nous nourrit », conclut-il.

La cuisine boréale : une révélation

Le premier contact de Jean-Luc avec la cuisine boréale remonte à sa toute première expérience à la chasse au caribou, dans le Grand Nord du Québec. « J’y ai découvert la chicoutai, une petite baie acidulée qui a un peu la forme d’une framboise, mais qui a la couleur d’un abricot. J’ai cuisiné mon premier morceau de caribou avec ce petit fruit méconnu. C’était délicieux. »

De fil en aiguille, le chef Boulay a découvert des dizaines de nouveaux produits issus de la forêt boréale et qui à son avis remplacent à merveille ceux que l’on importe des quatre coins du monde.

Prenons l’exemple de l’huile de caméline. Cette huile supporte bien la cuisson, et contient autant de bons gras que l’huile d’olive, en plus d’avoir une saveur délicate. Mais c’est une huile que l’on produit ici, chez nous. Et c’est pareil pour l’huile de pépins de canneberges.

Curieux de mieux connaître le garde-manger québécois, Jean-Luc s’y est intéressé de plus près. C’est ainsi qu’il y a une quinzaine d’années, sa route a croisé celle de Fabien Girard, un biologiste amoureux fou des plaisirs gourmands de la forêt. Fabien est un « cueilleur des bois ». Il est d’ailleurs derrière la gamme de produits d’Origina, des épices et des thés fabriqués à partir de plantes, racines, tiges, feuilles et fleurs qui poussent dans la forêt québécoise. Avec Fabien, Jean-Luc a découvert le monde extrêmement riche et méconnu de la cuisine boréale, que l’on appelle aussi la cuisine nordique.

« Les gens cuisinent avec des épices venues de l’Inde et de la Chine, des huiles et des vinaigres importés d’Europe, alors que le garde-manger du Québec renferme des produits raffinés, délicieux et remplis de propriétés nutritives », croit-il.

Le thé vert? Au Québec, on a le thé du Labrador. Le poivre? On a ici le poivre des dunes. La cardamome, la cannelle et le clou de girofle? On a chez nous la graine de myrica. La muscade? Peut facilement être remplacée par le nard des pinèdes. Le vinaigre balsamique? Le vinaigre de cidre est une excellente substitution. Les possibilités sont infinies parce que les forêts québécoises regorgent de mille et une saveurs.

C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’en 2012, Jean-Luc a ouvert, avec son associé Arnaud Marchand, le bistro Chez Boulay, un restaurant où l’on ne cuisine qu’exclusivement avec des produits issus de la forêt boréale. Bien sûr, Chez Boulay est devenue l’une des tables les plus respectées de la ville de Québec, tant auprès des appétits gourmands, qu’auprès de la critique.

Selon le chef Boulay, non seulement notre garde-manger est d’une richesse sous-estimée, mais « la cuisine québécoise possède tout ce qu’il faut pour devenir l’une des meilleures cuisines au monde. »

Karina Durand | © Sépaq
Karina Durand | © Sépaq
Karina Durand | © Sépaq
Nancy Guignard | © Sépaq

À l’aventure à Ashuapmushuan

Après presque deux heures passées en l’agréable compagnie du chef Boulay, je lui ai proposé de filmer sa prochaine partie de pêche au brochet et de chasse à l’ours à la réserve faunique Ashuapmushuan, une réserve qu’il connait bien, puisqu’il s’y est offert plusieurs parties de chasse.

Ce qu’on souhaitait, en invitant le chef Boulay dans une telle aventure? Apprendre avec lui à mieux apprêter la viande d’ours et à maximiser la chair de brochet, un gibier et un poisson que l’on récolte dans plusieurs réserves fauniques au Québec, et qui sont réputés pour donner du fil à retordre aux chasseurs et aux pêcheurs. La viande d’ours souffre de préjugés tenaces, et le filetage du brochet demeure une technique méconnue.

« La viande d’ours, c’est une viande saine, l’une des viandes de gibier les plus appréciées. C’est tendre, c’est goûteux. Même chose pour le brochet. C’est un poisson savoureux, qui a fait la réputation de plusieurs grands chefs européens. Et tout se cuisine dans ce poisson, même les arrêtes », m’a-t-il expliqué, une fois ma proposition lancée.

Parce que c’est vrai qu’il est gentil, et parce que Jean-Luc Boulay est réellement passionné de cuisine, de chasse et de pêche, et qu’il milite avec son cœur pour que les Québécois apprennent à mieux utiliser les produits de la forêt, il a gracieusement accepté notre invitation.

Je suis donc repartie du restaurant le Saint-Amour satisfaite ce jour-là, puisque j’avais en main l’accord de Jean-Luc pour réaliser un film avec lui.

Mais je suis aussi ressortie de cette rencontre avec en tête une observation qui m’est restée : il existe en ce monde une catégorie de gens si intelligents et généreux, qu’un simple moment passé en leur présence suffit pour s’imprégner de la passion qui les anime. Ce sont des gens d’exception et Jean-Luc Boulay est l’un d’eux.

Visionnez l'aventure de Jean-Luc à Ashuapmushuan

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